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01/12/2020
Wire Edge
Workhorse Empire
metal progressif – 60'06 – France ‘20
Wire Edge est un groupe parisien actif depuis 2010 qui sort son tout premier opus. Wire Edge est composé de Jeremy à la basse, Franck à la batterie, Nicolas au chant/guitare et Yann à la guitare, mais on n’en connaît pas beaucoup plus sur le groupe ou le parcours des membres. Tout au long des dix titres, on voit très bien où le groupe veut en venir, on ressent clairement l'influence et la volonté de créer une sonorité à la Mastodon ou encore à la Tool, et ils le disent haut et fort. On entend parfois que l'album est auto-produit, non qu'il soit inaudible, loin de là!, mais il manque par moment de puissance, de finesse de son, et est parfois légèrement «résonant». Notamment sur la batterie que je ne trouve pas parfaitement mixée sur certains titres. Les guitares par contre sont parfaites. Deuxième chose, je n'accroche pas du tout avec la voix de Nicolas, peut-être également à cause de l'enregistrement, mais elle manque peut-être de profondeur et de relief. Coté points positifs, on ressent la recherche, la création et le travail que la construction de ces titres doit exiger. Par exemple, j'aime particulièrement les titres «Vulture king's Head», «Montains to defeat» ou «Work whores» qui sont d'une rare maîtrise technique. J'aurais préféré avoir moins de titres et une véritable pièce maîtresse où ils auraient pu installer leur univers plus précisément. Franchement «Workhorse Empire» est pour moi un bon album et assurément Wire Edge est un groupe en devenir qu'il faudra suivre lors de prochains opus. Ils ont un potentiel énorme qui ne demande qu'à éclater.
Wire Edge est donc sans nul doute un groupe à haut potentiel.
Vespasien
https://wireedge.bandcamp.com/album/workhorse-empire
https://www.youtube.com/watch?v=wZpl9c1ZHmo&list=PL5l0zEPU8Sb-ZKbu_3cCDjBOdhMN9hMQr
02/12/2020
OUT5IDE
Tumbleweeds
Rock! Progressif? – 50’08 – France ‘20
Parti conquérir le monde prog’ sous le patronyme passe-partout d’Outside en 1996, le groupe strasbourgeois n’eut de cesse de modifier son nom au cours des années. Après l’éponyme premier opus en 96 et le suivant, «Freedom», en 2002, une longue pause de neuf ans pour voir «The Limit» avec un D inversé (OutsiDe) puis en 2016 avec «Naked», un 5 remplace le S initial qui sera conservé donc en 2020 pour le cinquième opus des Alsaciens jusque dans le lettrage. Alors, doit-on toujours dire Outside ou Outfivede? Fi de ces questions de rhétorique mâtinées de numérologie, parlons musique! De la base initiale, seuls Philippe Rau (guitare/chant) et Olivier Sapte (batterie) sont les survivants de la formation de 96. Corbeau noir sur fond rouge et inverse à l’arrière, Out5ide aime jouer sur les ambivalences, comme pour son nom… Et musicalement, on peut dire que le progressif est en filigrane tout au long de l’œuvre proposée. D’abord, on a plus affaire à un format chanson allongée, puisque le plus long titre excède à peine les 6 minutes. Out5ide fait d’abord du rock, un rock parfois crépusculaire, parfois rêche, souvent sur le fil du rasoir, rappelant en cela certaines formations des années 90. Si je voulais faire le malin, je classerai cet album dans le prog’ «de justesse»! Les atmosphères sont là certes pour nous rassurer, nous progters aux fragiles oreilles, mais Out5ide va plaire à toutes les chapelles; d’ailleurs le vénérable (par l’âge!) magazine rock généraliste français Rock’n’Folk, qui ouvre très rarement ses portes au genre, ne s’y est pas trompé (à sa manière) en octroyant une courte mais fort sympathique chronique au groupe de Strasbourg. Un indéniable parfum rock british (paroles en anglais) embrume les deux premiers titres avant de partir vers un «Immigrant Throng» (jeu de mots) vaguement inspiré par un Led Zep ayant copulé avec Killing Joke! Belle pièce qui mérite quelques écoutes pour en saisir le sel. Une trompette (jouée par Laurent Hantz, également chanteur lead) ouvre le petit bijou de l’album «Tumbleweed», mélancolique partition au charme époustouflant, digne d’un Galaad c’est peu dire… La guitare de P. Rau est à mettre en exergue et je profite de ce morceau pour en parler avec le plus grand bien. Nettement supérieur à ses quatre prédécesseurs, «Tumbleweed» (l’album) expulse des rocks urgents qui provoque une excitation subite, un trépignement du cerveau et la concision des titres le prouve aussi («9AM», «The Kitchen», «Down in Hell», «Underground Railroad», «Drawing for Kids», «If»), concision fort british qu’on pourrait retrouver sur des albums de rock pur jus. Finalement, sorry, Out5ide ne fait pas du prog’ mais c’est tout aussi bien! Un «9AM» vous emmènera très haut avec une urgence brûlante (beau travail à la basse de Matthieu Heise en passant). À quoi bon vous expliquer toutes les qualités de chaque titre? Ce disque s’écoute d’une traite car une atmosphère oppressante a su s’instaurer au fil des titres, celle qui tresse une corde d’angoisse semblable aux formations spleenétiques de la fin 80’s, début 90’s. Mais une petite lumière subsiste grâce à la guitare de P. Rau qui pourfend certains aspects moroses de l’anxiété émanant de «Tumbleweed». Tout le paradoxe est là d’ailleurs. Anathema sous une forme anémiée n’est pas loin parfois non plus, si ce n’est quelques chœurs plus légers. À ce titre, le très joli «If» qui clôt la rondelle semble sortir d’un «Alternative 4» où l’on distingue enfin clairement le piano d’Olivier Schaal. Voici donc un album que je recommande vigoureusement, celui de la maturité comme on dit souvent. On a de vrais bons groupes en France, crévindiou!
Commode
https://out5ide.bandcamp.com/album/tumbleweeds
03/12/2020
Sequentia Legenda
Beyond the Stars
Electro/Berlin School – 66’17 – France ‘20
Laurent Schieber a découvert la Berliner Schule dans la cave de ses parents sous la forme d’un vieux vinyle qui avait pour nom «Mirage», un chef-d’œuvre du Maître incontesté en la matière: Klaus Schulze. Une révélation pour lui qui se donne alors pour mission de repenser le style à sa façon. Et par tous les dieux du Cosmos, il nous fiche ici une solide claque. Trois trips cosmiques aux sonorités d’une exceptionnelle richesse émotionnelle. «Experimental» réexplore les saveurs séquentielles de «Body Love 2» initialement «Moogetique» (1977), une montée en puissance similaire à celle de «Nowhere Now Here». Séquenceurs en parfaite symbiose avec la batterie de son comparse Tommy Betzler qui a également secondé Klaus Schulze, chœurs virtuels célestes pour nous ouvrir les portes d’un monde dont seul, jusque là, le compositeur détenait le sésame. Gravies les premières marches d’un escalier céleste, nous entrons de plain-pied dans les brumes cristallines d’un scintillant mirage, né de nébuleuses moirées où flottent nos corps subtils anamorphosés, pour nous évaporer en un parfum d’éternité au-delà de l’au-delà, là où la matière devient Lumière. «Floating among the stars» miroite les eaux du «Crystal Lake» du grand Klaus. «Beyond from the Beyond»: voici naître une caresse féerique lovée dans les bras d’une nébuleuse spirale étirant ses gemmes scintillantes. Illumination de l’insondable espace-temps éclaté, la rosace s’étire lentement, au rythme d’un battement de cœur révélateur. Résurgence d’un rêve irisé traduit par un léger rythme syncopé prolongé dans l’écho du Temps. Avec cet album, Laurent revisite les paramètres du genre. Il incarne définitivement le véritable héritage schulzien.
Clavius Reticulus
https://sequentia-legenda.bandcamp.com/album/beyond-the-stars
04/12/2020
La Maschera Di Cera
S.E.I.
rock progressif symphonique – 45’01 – Italie ‘20
Le groupe transalpin La Maschera Di Cera est loin d’être un inconnu dans notre microcosme. Et cette sixième offrande se hisse sans effort au firmament des productions du type. On retrouve dans le line up l’incontournable Fabio Zuffanti à la basse (également membre de Finisterre et Hostsonaten), Alessandro Corvaglia au chant et guitares et Agostino Macor aux claviers (lui aussi dans Finisterre ou LaZona, entre autres). Nos compères ont cependant fait appel à Paolo Tixi à la batterie (Hostsonaten, Zuffanti and Zband, Il Tempio Delle Clessidre) ainsi que Martin Grice (Delirium) à la flûte et au saxophone. Trois longues pièces composent cette plaque (la plus courte s’étend sur pratiquement dix minutes). Précisons toutefois, avant d’aller plus loin, que S.E.I. est l’acronyme de Separazione / Egolatria / Inganno (séparation / égolatrie – synonyme d’égoïsme, porté à son paroxysme – / Tromperie).
La plus longue plage, «Il Tempo Millenario» (presque vingt-deux minutes), entame «S.E.I.» et se découpe en cinq parties par des ambiances que ne renierait pas King Crimson. Le chant théâtral associé à une flûte aérienne nous permet de décoller. Mais le chant peut se faire plus feutré, toujours au service de superbes mélodies. Certaines parties plus enlevées s’accompagnent d’un saxophone nous apportant des notes jazzy à l’ensemble. Certains breaks donnent une touche anxiogène à l’ensemble (bien que, pour le moment, nous n’en ayons nullement besoin, la réalité s’en charge aisément).
C'est par des claviers sautillants que débute le titre le plus court, «Il Cerchio del Comando», alliant des aspects symphoniques à des passages un tantinet folk (la flûte n’est pas étrangère à ce type d’atmosphère). Un break apaisant fait son apparition avant de repartir sur ces rythmes enjoués.
Du haut de ses treize minutes et demie, «Vacuo Senso» nous emmène au long des cinq parties le constituant vers des territoires presque expérimentaux où la flûte et le saxophone nous font glisser vers des contrées canterburiennes. Une véritable réussite au vu de l’assemblage de tous ces ingrédients pouvant, a priori, sembler disparates, en ce compris la finale apaisante.
Pour une fois, les réfractaires au chant italien devraient faire l’effort de se pencher sur cette production, tandis que les autres en ont déjà fait l’acquisition.
Tibère
https://lamascheradicera.bandcamp.com/
05/12/2020
The Moon and the Nightspirit
Aether
world music – 40’25 – Hongrie ‘20
La Lune et les Esprits de la Nuit, déjà toute une poésie dans le nom de cette formation constituée d’Ágnes Tóth au chant, aux claviers, au morin khuur («vièle à tête de cheval»), à la harpe et aux percussions, et de Mihály Szabó au chant, aux guitares, à la basse et aux claviers. Alors que «Metanoia» (leur album précédent) me semblait quelque peu monotone, «Aether», leur 7e album, est décrit comme «un jalon dans l’histoire du groupe» où il s’est passé un recalibrage stylistique lors de l’écriture des chansons car la voix de Mihály est venue s’ajouter à celle d’Ágnes. Et pour ma part, cela parvient à un bel effet! Concernant ces chansons (toutes en hongrois), je ne m’étendrai ni sur les paroles (très restreintes), ni sur leurs significations qui peuvent être multiples, je pense en fait qu’elles ont été écrites comme des poèmes. On débute par la plage titulaire de l’album où les instruments montent crescendo, la voix aérienne d’Ágnes contraste avec la voix d’outre-tombe de Mihály et se termine avec une fin un peu à la Heilung, je ne me suis pas aperçue que les 7’38 minutes étaient déjà passées! On continue avec «Kaputlan Kapukon Át», la voix d’Ágnes, toujours aussi douce, se fait plus lointaine et ce sont les hurlements de Mihály qui ressortent; toutes les sonorités des instruments s’harmonisent parfaitement. Sur «Égi Messzeségek», à nouveau le chant vaporeux d’Ágnes s’oppose au chant colérique de Mihály, je me revois au Castlefest au milieu de ce bois féerique, qui convient parfaitement à ce duo. Alors que le thème de l’album est plutôt en rapport avec le cosmos, j’imagine plus «A Szárny» sur une barque en pleine mer, on se laisse aller au gré des flots plus calmes avec le chant (de la sirène) Ágnes et plus rapides avec celui de Mihály. «Logos» sonne comme des gouttes d’eau «magiques» tant la voix qui accompagne est ensorcelante. «A Mindenség Hívása» est un bel arrangement de cordes et de claviers où les grognements de Mihály ne perturbent en rien le calme d’Ágnes, qui clôture cet album, seule au chant avec «Asha».
Laissez-vous envoûter par cet album, vous n’avez rien à craindre sinon de passer un bon moment de détente, comme cela a été le cas pour moi.
La Louve
https://the-moon-and-the-nightspirit.bandcamp.com/album/aether
06/12/2020
Polymorphie
Claire Venus
jazz/rock progressif – 54’19 – France ’20
Ce que Polymorphie veut comme une digression musicale et allégorique – elle est littéraire – est un bel et plein album qui dispose dix poèmes, classiques et contemporains, contant l’amour, de Leonard Cohen à Pier Paolo Pasolini en passant par Pablo Neruda et Paul Éluard, mis en musique avec lyrisme par Romain Dugelay et ses saxophones, portés par la voix de Marine Pellegrini: insufflée dans «MA», parlée dans «Louise», chevillée à la partition du saxophone (ou vice versa) dans «Pablo», anglaise dans «Leonard», voilée devant les percussions nues de «Marceline», pressée et déchirée dans «Anna» – où la guitare de Damien Cluzel évoque le Caravaggio de Benjamin de la Fuente –, solitaire dans «Guillevic», moulée par le rythme dans «Paul», suave et vaporeuse dans «Jean». «Claire Venus» continue le travail mis en œuvre dans «Cellule», en 2012, qui explorait l’univers de l’enfermement au travers de poèmes écrits en prison – par Oscar Wilde ou Paul Verlaine, entre autres – et marque la troisième étape de la collaboration artistique de Dugelay et Pellegrini, une dramaturgie faite d’un assemblage de textes, portés autant que portant une musique dominée par les cuivres, souvent originale, parfois foisonnante.
Auguste
https://polymorphie.bandcamp.com/album/claire-venus
07/12/2020
Lunatic Soul
Through Shaded Woods
prog-folk-médiéval-méditatif – 39’50 (76’37 avec bonus) – Pologne ‘20
Lunatic Soul, side-project du bassiste chanteur de Riverside, explore depuis 2008 des sonorités douces, planantes avec synthés à l’appui; ce 7e album nous transporte dans un univers folk scandinave ou irlandais venu prêter main-forte; pas d’électro ici, du brut qu’il joue seul, tourné vers le passé-avenir; une musique intimiste, froide, glaciale où les sonorités tribales dégagent finalement un peu de chaleur, de sentiments et d’images intrusives aptes à vous faire voyager par l’utilisation d’éidolies propres.
«Navvie» aux sonorités irlandaises folk et ses touches d’accordéon, de basse, la voix de Mariusz linéaire, lancinante, basique, envoûtante, atmo acoustique, mise en bouche. «The Passage» pour un titre acoustique répétitif plaqué, suite monophasique qui se met en branle à mi-parcours, riff métallique qui s’incruste, on se retrouve d’un coup à un banquet (plus de 6 en plus!) où l’on danse ivre sur un arbre buriné qui fait office de table, titre à ne pas mésestimer. «Through Shaded Woods» pour l’ambiance progressive à la Rajna avec sons binaires et cette voix torturée, distorsion discordante réverbérante qui te fait frissonner, un son de fêtes d’antan avec instruments traditionnels; la voix se remet d’un coup normal, fin avec bruissements de pas dans les feuilles. «Oblivion» avec Dead Can Dance qui plane ici! Tambour rituel, orchestre, comptine troubadour qui n’a rien de sensationnel excepté cet air bucolique et cette voix enchanteresse de Mariusz. «Summoning Dance» qui me rappelle immédiatement le son d’Anathema lors de leurs airs acoustiques scintillants; du rêve, de la pureté, de la joie, crescendo avec apport du piano, des guitares acoustiques, de la basse électrique et des synthés emplissant l’air frais du sous-bois, tout pour faire danser en transe les pieds nus sur l’humus de la forêt. «The Fountain» mélodie de fin qui pourrait apparaître sur un album de Riverside, chanson triste sur l’espoir qui revient, piano cristallin, orchestration crépusculaire et la beauté sidérante qui va avec, là on touche sur l’ambiant introspectif.
40 minutes qui donnent envie de s’accaparer la version de luxe avec 3 bonus, c’est parti:
«Vyraj» pour un titre instrumental, transe folk, binaire, stéréotypée, envoûtante reprenant cette trame guitare hypnotique; la voix est ici seulement susurrée, le synthé en arrière fond. «Hylophobia» sur le titre le plus court et un riff dynamique bien dans la trempe Riverside, il faut attendre le milieu pour revenir à ces sonorités venues du froid. «Transition II» pour le titre qu’il faut avoir écouté; un voyage ici sur Riverside, du dub, sur Mike Oldfield avec ce passage aux xylophones luxuriant; puis des percussions métalliques, un prolongement de «He Av En» du précédent album, des sections entrelacées qui se mélangent pour fusionner et donner par alchimie musicale un morceau incroyable; plus loin une atmosphère de bande son de film S-F, on pourrait croire entendre Tangerine Dream ou Max Richter, c’est beau jusqu’au cri d’émerveillement du bébé; 37 minutes de plus pour une double chronique de fait.
Danses primitives, rituelles, composées dans sa maison d’enfance envahie de forêts, cet album est un piège avec ces ambiances monocordes et monophasiques qui se chargent de réverbérations. À l’abri de ses tourments ancestraux, Mariusz a pu livrer une musique basique, archaïque, celtique, ambiante, où la torpeur mélancolique crée un oxymore musical sur le feu et l’ombre, la vie et la mort, souvenir sur le film émouvant «L’île». Un rappel des sonorités de Dead Can Dance et de Peter Gabriel voire de Heilung ou de Clannad dans lequel Enya a œuvré un temps. Mariusz aime les sons répétitifs rythmiques monotones et le montre en les transcendant, en leur donnant une vie après la mort.
Brutus
https://kscopemusic.bandcamp.com/album/through-shaded-woods-deluxe-edition
08/12/2020
The Wolf You Feed
…As the Wild Returns
metal progressif – 42’09 – France ‘20
Le groupe francilien The Wolf You Feed est né à l’initiative du bassiste et compositeur Grégory Breton, très vite rejoint par des musiciens aguerris (et donc, pas des perdreaux de l’année), comme vous allez vous en rendre compte: Karim Attoumane (CharlÉlie Couture, The Etherist, Zuul Fx) aux guitares et à la production, Aurélien Ouzoulias (Mörglbl, Satan Jokers, Disconnected) à la batterie et Nash Vivier au chant. Le nom du groupe provient de l’ancien «conte des deux loups» amérindien dont le pitch peut se résumer à la lutte que se livrent deux loups, l’un représentant tous les côtés négatifs et l’autre, fatalement, toutes les attitudes positives… L’album est donc un appel à se relever, se battre avec le sourire et chanter nos victoires contre les épreuves sombres et destructrices. On notera également la participation d’autres artistes à ce projet, entre autres Caroline Pauvert (viola), Octavio Angarita (cello) et Emmanuel Trouvé (piano).
«Fight With a Smile» débute comme une ballade pour se prolonger en power metal épique aux riffs acérés et aux mélodies accrocheuses que l’on se prend très vite à fredonner avec nos lascars. On poursuit sur le même rythme avec «Victory», malgré un break où la guitare acoustique nous montre des plans intéressants. Le trash fait son apparition sur «He Who Brings Destruction» avec insertion de chœurs féminins (même enfantins par instants) et doté d’un break jazzy en diable. Mais il est temps de reposer nos esgourdes avec ce petit interlude instrumental que constitue «Next to Nothing». S’ensuit une délicate intro à la viola avec «Come Along the Shadows» qui se poursuit en pop rock pompant allègrement sa mélodie sur le «The Passenger» d’Iggy Pop! Ce sont les claviers qui prennent le pas sur «10,000 Eyes», mais le heavy symphonique reprend rapidement le dessus, avec ici également un refrain entraînant (quand ils pourront partir en tournée, ce titre déménagera à tous les coups!). Le trash refait son apparition avec «Dress Code Blood (Hidden Demon)» où les guitares sont mordantes à souhait et s’envolent dans un break époustouflant. La plus longue plage de cet album (un peu plus de neuf minutes) nous arrive enfin avec son aspect de mini opéra metal et son chant capable de voyager entre le mélodique et un côté torturé. «No Nature, No Future» conclut notre écoute avec son drumming feutré et ses guitares aériennes.
En définitive, voici un album qui devrait plaire à tous les amateurs de musique musclée et intelligente!
Tibère
https://thewolfyoufeed.bandcamp.com/
https://www.youtube.com/watch?v=t5WTf9du2Jc&feature=youtu.be
09/12/2020
Solar Project
Ghost Lights
rock progressif – 51’11 – Allemagne ‘20
La formation allemande Solar Project n’est pas née de la dernière pluie. Sa fondation date de 1988 alors que son premier album, «The Final-Solution», paraît en 1990. Trois premiers CD en auto-production, dont l’album «The House Of S. Phrenia» en 1995, les feront davantage connaître par la presse spécialisée. Ensuite 4 albums signés et distribués par le label français Muséa. De cette période nous retiendrons «In Time» (en 1997), mais, après le quatrième album dans cette écurie, le groupe semble trépasser pour réapparaître en 2014 avec l’album «Aquarmada» sur le label New Music - Green Tree. C’est aujourd’hui toujours sur ce même label que paraît le nouvel album «Ghost Lights». Il s’agit du cinquième album paru sur ce nouveau label et le treizième album du groupe (y compris la compilation parue en 2007). Soit une belle carrière menée par 4 musiciens déjà présents sur le tout premier album de 1990: Peter Terhoeven (guitare), Robert Valet (claviers), Sandra Baetzel (chant, saxophone) et Holger vom Bruch (chant). Un quatuor auquel il faut ajouter ici Sebastian Jungermann (basse), Stefan Schnelting et Florian Schlott (percussions).
Le style de Solar Project a toujours été balisé par le rock progressif traditionnel, énergisé d’une irradiation floydienne. Quelques moments psychés ont émaillé la dentelle du combo allemand au gré de tel ou tel album, mais le groupe a toujours eu une propension à installer un climat rock dans ses albums. Un rock progressif estampillé de vieux claviers d’époque (orgue Hammond, mellotron…) et d’ambiances autant symphoniques que dramatiques. Solar Project a toujours été en dehors des moules, notamment néo-progressifs, en s’en démarquant par la faculté de s’inspirer du terreau des seventies sans s’y enliser. Une marque de fabrique en guise d’identité qui catégorise le groupe dans le prog vintage.
Ce nouvel album poursuit la tradition et sonne comme ce qui pourrait être qualifié de fer de lance de leur existence, où les imperfections deviennent des traits de caractère. Cette authenticité imprègne ce nouvel album baigné de tout ce qui définit Solar Project depuis le début. Une sublime fange larguée sans vergogne à l'attention des fans du rock progressif de tradition. Une musique sans filet, brute de décoffrage, lourde mais tellement chatoyante, tellement vraie, et pour laquelle j’avoue avoir un faible.
Centurion
Album non disponible sur bandcamp.
10/12/2020
OAK Oscillazioni Alchemico Kreative
Nine Witches Under a Walnut Tree
rock progressif symphonique/folk – 46’06 – Italie ‘20
Réduire Oscillazioni Alchemico Kreative à OAK pourrait conduire tout droit au milieu (des chênes?) des bois de Norvège à Oak, loin du groupe (solo) de Jerry Cutillo. Ce Romain, multi-instrumentiste, goûtant la musique ethnique, réunit ici neuf titres pour son 3e album dédié à neuf sorcières (parfois réelles). Entrons dans la sarabande: «Chlodswinda» (6'12). Le début de l'album nous projette un instant au milieu d'épées, de chevaux, de chant grégorien, bientôt un synthé finit par tout noyer (😉). Une mandoline folk surgit (Page/The battle of evermore), le chant qui suit vient comme une incantation, un mellotron kashmiri finit de nous plonger dans cette fête païenne. Et l'orgue, un poil dissonant, ajoute au déséquilibre ainsi créé. Une incursion de flûte nous rappelle le lien de l'auteur avec maître Ian. Belle 1re sorcière. Captivante.
«Gioconna» (3'44) est une sorcière de Bénévent (Italie) qui nous mène rapidement entre synthés et flûte dans un thème en boucle, rythmé par la basse sautillante de Jonathan Noyce (Archive, ex-JethroTull), pour céder à une limpide incantation de soprano qui répond au narrateur. Retour de la boucle, et fin. Dansant!
«Dame Harvilliers» (5'09). Un grand piano, puis un chant prétendument français, phonétique, difficilement compréhensible et supportable. Et pourtant le reste du morceau est vraiment hypnotique.
«Janet Boyman» (3'31), sorcière écossaise du 16e siècle, danse avec un flageolet soufflé par le vent de la lande. Instrumental charmant.
«Franchetta Borelli» (6'11), une sorcière de Triora, est exposée par un fond de clavier reverb, et une guitare glissando aérienne. Troublant.
«Polissena» (4'37). Instrumental. Ambiance médiévale (bombarde, tambourin) qui s'électrise au fil du morceau, PROGressant et revenant dans le thème qui se fait inquiétant par les violons et la basse. Enfin, une flûte parlée-crachée comme…
«Donna Prudencia» (5'15). Un beau slow riche de multiples instruments parfaitement agencés… puis le sax de David Jackson d'abord pastel, déchire ensuite nos âmes. Bouleversant.
«Nadira» (5'25). Electro d'abord, avant qu'une flûte orientale ne nous lâche, sur un riff de basse entêtant sous des claviers légers, des voix éthérées. La seconde partie plus musclée avec alternance voix/flûte aurait pu durer plus.
«Rebecca Lemp» (5'59), Bavaroise morte au 16e siècle, nous accueille avec une ligne de basse, un chant en allemand (j'espère plus crédible que le français…) et nous entraîne dans une kermesse chaloupée. Entêtant.
Après le concept album remarqué en 2018, «Giordano Bruno», OAK récidive ici avec autant d'inventivité. La flûte, en clin d'œil, paye parfois son tribut à Ian Anderson pour notre plus grand bonheur, au milieu d'un foisonnement de sonorités toujours pertinentes.
Ciceron 3.14
https://soundcloud.com/jerrycutillo/sets/jerry-cutillo-o-a-k-nine
11/12/2020
Crippled Black Phoenix
Ellengæst
dark prog rock – 54’52 – Angleterre ‘20
Imaginez qu’après avoir répété des semaines en vue de l’enregistrement de votre nouvel album, le jour de rentrer en studio et aux portes de celui-ci, votre chanteur vous annonce qu’il jette l’éponge!
Beaucoup d’entre nous auraient sombré! Mais pas Justin Greaves, le leader de CBP, qui, loin d’être abattu, y a vu une opportunité et a fait fonctionner son réseau pour proposer à quelques amis de venir poser leur voix sur cet album.
Ainsi donc, Belinda Kordic, Vincent Cavanagh (Anathema), Gaahl (Gorgoroth) et Jonathan Hulten (Tribulation) ont apporté leur timbre caractéristique sur ce «Ellengæst».
À l’arrivée, nous avons là, et ce malgré les circonstances, une des œuvres les plus riches et réussies de la carrière de CBP (CRIPPLED BLACK PHOENIX (official)).
Huit morceaux épiques, émouvants, originaux et sans compromis. À la fois rock, dark, gothique et parfois métal, cet album nous prouve une nouvelle fois à quel point CBP est un groupe majeur de ce premier quart de siècle.
Même dans un cover, ici «She’s in parties» de Bauhaus dont la relecture est empreinte de rythmes jamaïcains qui auraient pu figurer sur les albums des plus grands rastas, le groupe nous surprend et, exploit rare, réussit à nous faire oublier l’original.
Un album qui se déguste tel un plat préparé par un chef étoilé et qui, à chaque écoute, nous révèle de nouvelles saveurs, couleurs et sensations.
L’avenir du prog est assuré, et un des acteurs s’appelle Crippled Black Phoenix!!
Tiro
https://crippledblackphoenixsom.bandcamp.com/album/elleng-st
12/12/2020
Jenhrä
Primal
post-rock – 44’12 – France ‘20
On n’ouvre pas assez nos oreilles au post-rock et pourtant le fan de prog’ passe à côté de bien belles choses. Prenez ce Jenhrä, duo originaire de l’est de la France, répondant aux doux patronymes de 2K et JO (deux frangins par ailleurs), il a toutes les qualités de ce type de rock, instrumental, parfois oppressant, parfois intimiste, parfois acoustique avec une guitare qui calme subitement les angoisses nées d’un son d’airain. Bien sûr, les opposants au style n’y entendront que l’impression d’un seul long morceau de trois quarts d’heure, se targuant du peu de changement d’orientation, encore moins de breaks magistraux. C’est bien mal tendre les deux oreilles vers cette musique qui nécessite une immersion totale (l’écoute au casque est conseillée). Le manque de chant, inhérent au post-rock, peut aussi rebuter le pur auditeur de rock prog’ exclusif mais, je me répète, il faut s’immerger! Certes, un poil d’excentricité aurait pu emmener le disque vers un autre territoire. Riche de six titres où les guitares de 2K d’une poignante beauté acoustique rassurent après d’intenses odyssées plombées par un son oppressant mais, attention, on frôle parfois un doom allégé… Cette dualité omniprésente est le piment nécessaire, l’ingrédient ultime pour assaisonner, voire relever la sauce épaisse que Jenhrä nous a concoctée. Tout ici est contemplatif, imaginaire, un rock (?) cinématique qui ouvre forcément des portes de perception enfouies en notre inconscient. Avec l’instrumental, ce qui est bien, c’est qu’on peut y mettre ce qu’on veut pour nourrir notre imaginaire; aucune parole, aucun texte ne vient polluer notre concentration et toute notre écoute est tournée vers la musique, dealeuse de sensations des plus variées. Le post-rock des deux frères peut passer du primaire le plus viscéral à une beauté douce et simple, pour un voyage qui peut frôler la neurasthénie mais fournissant les anxiolytiques en cours de route! Un mot sur le jeu de batterie lourd et orientalisant de JO qui martèle allègrement les dérives anxiogènes de «Primal», évident sur le dernier titre «Primal» qui porte bien son nom. À signaler: aucun clavier sur cet album, une raison de plus pour initier le progster au post-rock? Plaisanterie mise à part, c’est un joli travail sur les sons, rajoutés en mille-feuilles, imprégnés des guitares les plus diverses, ils seraient dix, ils sont deux, ils sont eux, ils sont Jenhrä! On peut attendre de grandes choses si le duo persiste en y ajoutant un je-ne-sais-quoi, qu’eux finiront bien par trouver!
Commode
https://jenhra.bandcamp.com/album/primal
13/12/2020
Anaïd
Lïve ïn Parïs
rock progressif – 53’05/48’01 – France ’20
Dans une période où on ne peut plus guère voir les artistes en concert, on apprécie d’autant mieux de découvrir Anaïd sur scène, en l’occurrence, celle du Triton, à Paris, où le groupe a enregistré quelques jours avant la première vague – je ne vous parle pas de celle, nouvelle et cinématographique des années ‘60, ni de celle, new et musicale des années ’80, mais de celle, vieille comme le monde et sanitaire, du début 2020. L’œuvre est généreuse (deux disques) et sa musique aussi: je vous ai déjà parlé (à l’occasion de la parution, en 2019, de son bel album «I Have A Dream») de cette fusion d’influences progressives, ethniques et jazzy, dominée par la voix perchée et limpide d’Emmanuelle Lionet, à la langue inventée et improvisée, colorée par le vibraphone du batteur Jean-Max Delva («Ikebana») et, sur scène, par les saxophones de Théo Ferrari. La set list, outre de nombreux titres du récent CD, ici nourris de la franchise de la scène, inclut des moments de la vie antérieure d’Anaïd: «Clémentine» ou l’intrigue cristalline de «Heart Break», extraits de la deuxième publication du groupe, et se clôture sur le titre éponyme de la cassette de 1986 qui étrennait la vie discographique du combo, l’émouvant et volontaire «Vêtue de Noir».
Auguste
Album non disponible sur bandcamp.
14/12/2020
THEO
Figureheads
crossover prog symphonique – 52’25 – Allemagne ‘20
Theo est un groupe avec lequel il faut compter. Jim Alfredson, son leader, travaille depuis le début de ce millénaire sur un versant jazz et blues par l’apport du Hammond, son instrument de prédilection. Il a œuvré à côté des plus grands comme Janiva Magness et Thornetta Davis. Il revient à ses sources prog avec lesquelles il avait débuté à l’âge de 16 ans pour nous livrer un son frontière entre la nostalgie sur des réminiscences de King Crimson, ELP, Yes, Gentle Giant et surtout Genesis dont il se dit fan de la première heure. Le voici maintenant avec des chansons épiques à la Beggar’s Opera, aux Flower King ou à Spock’s Beard et la place donnée au clavier est pour nous rappeler que c’est l’instrument souterrain qui a donné ses lettres de noblesse au mouvement progressif.
«Pathology» intro symphonique zen juste pour amener un son hard-heavy-prog à la King Crimson, puis break jazzy avec synthés et autres claviers; titre sur la trépanation, la brutalité du son y faisant référence avec les notes; longue séquence instrumentale enjouée qui passe très vite, signe que Jim est bien un virtuose; très beau solo de guitare qui rend au clavier la place de départ. «Man of Action» sur une vue personnelle de ce qu’il vit dans son pays natif, une figure de proue comme l’indique le titre de l’album? l’intro à la Pink Floyd est sidérante comme dans l’ouverture de «The Trial»; ensuite air basique dont il faut attendre les solos de synthés pour ressentir l’émotion comme à mi-parcours où le clin d’œil à Genesis est bien palpable; déclinaison monolithique au piano puis remontée avec un solo guitare plus nerveux à la Gilmour venant mettre un peu de folie à ce titre où breaks se succèdent sans arrêt.
«The Garden» titre plus gai, enjoué sur la fin de la maladie, l’amour comme guérison; titre donnant la place de frontman au clavier, soit en piano, soit avec ses différents synthés plus ou moins vintages; titre à écouter un soir pour un repos bien mérité, les notes s’égrenant de manière limpide comme sur une cascade musicale. «Portents & Providence» part sur un air de Banks sur «Duke», clavier remplissant toutes les fréquences; dans la 2e partie un solo sur la base de «Domino» où l’on repère son admiration, rythme énergique avec guitare acoustique et percussion jazzy, moment country puis les soli de clavier et guitare hard qui partent dans l’improvisation contrôlée et énergique.
Du progressif à claviers, des couplets-refrains agrémentés de nombreux soli de guitare nerveuse, claviers symphoniques et classiques, Tom McLean de Haken venant booster deux des quatre titres, voilà ce à quoi vous pourrez assister, mêlant airs de génie avec airs emphatiques, airs rythmés et airs amenant à la régression.
Brutus
https://generationprog.bandcamp.com/album/figureheads
15/12/2020
Esthesis
The Awakening
rock progressif porcupinien – 60’08 – France ‘20
Ceux qui connaissent ma passion pour ne pas dire mon amour pour le rock progressif français savent que je peux m’enflammer facilement. Pourtant, avant l’écoute quasi religieuse du premier opus d’Esthesis, j’avais un a priori entêtant: à quel étage ranger cette nouveauté? Ah, la belle affaire, allais-je entendre un autre album de post-rock? Eh bien, non! Me voici plus que soulagé par la qualité progressive (en onze lettres!) de «The Awakening», peut-être le plus bel effort musical offert ces derniers temps par une formation d’ici. En effet, Esthesis procure les mêmes sensations d’apaisement et de langueur mélancolique qu’un Porcupine Tree des débuts, un Pink Floyd des seventies, voire un Anathema débarrassé de ses scories doomesques… Venu de Toulouse, décidément une ville qui secrète mille et un groupes par siècle, Esthesis est la «créature» d’Aurélien Goude, multi-instrumentiste, visiblement très talentueux; ici il prend en charge le chant, les guitares et les claviers. Autour de lui, Marc Anguill à la basse, Florian Rodrigues à la batterie et Baptiste Desmares aux (autres) guitares. Le quatuor a tout saisi de l’esprit «porcupinien» et ça fait plaisir d’écouter un groupe d’ici à la hauteur de ses ambitions. Autant dans les instants planants que les escalades spatiales à force d’échos dans la voix, d’une solidarité exemplaire quand les quatre appliquent le traitement adéquat; le plus bel exemple en est «No soul to sell», manifeste cosmique de 8’34’’, alternant avec une magie illuminée des atmosphères extatiques et des emballements nerveux tout en contrôle. Comme un vieux briscard du space rock, Esthesis convoque les grands esprits d’au-delà les étoiles pour diffuser une science révélée par les dieux! Hawkwind et le Floyd sont réunis, je sais, ce n’est pas la première fois qu’on vous fait le coup mais pour le compte, l’extase et la surprise vont de pair devant la qualité musicale qui se répand des enceintes, transformant votre salon, votre grenier, votre cave (que sais-je?) en voie lactée! «The Awakening» serait sorti en 75/76 que tout un chacun aurait crié au chef-d’œuvre, mais voilà, nous sommes presque en 2021 et seuls, hélas, les amateurs de pur prog’ seront encore ébahis par l’écoute de cet album. Depuis, des courants musicaux sont apparus, digérant les précédents. Steven Wilson avait pris le meilleur de Hawkwind en y incluant une bonne part d’electro, Esthesis s’empare, lui, des travaux du Tree 1re génération («On the Sunday of life», «Up the downstair», «The sky moves sideways») pour en extraire la substantifique moelle cosmique répandue avec générosité. Prenons «Chameleon»: voici un truculent exercice guitare/percus/synthés au service d’un chant et de chœurs bien placés. La guitare toute en glissandi sidéraux emmène le morceau vers le système solaire «wilsonien» avec une maestria assez bluffante. Ce titre «Chameleon» résume d’ailleurs assez bien, à lui seul, l’esprit qui règne au sein de la formation toulousaine, d’abord l’acclimatation réussie (caméléon) mais aussi passage du planant à un univers en fusion sans le voir venir. Esthesis n’est pas un simple clone de Porcupine Tree (ce qui, en soi, serait déjà pas mal) mais un pourvoyeur d’émotions de haut niveau, pratiquant un rock progressif céleste de toute beauté. On avait entrevu le talent naissant l’année dernière déjà avec «Raising Hands» mais là, c’est du grand art tout comme ces notes martiales de piano qui accompagnent la guitare interstellaire d’Aurélien Goude, nouveau grand magicien du genre devant l’Éternel dans «Still far to go» qui clôt un opus qui vous laissera cois devant tant de beauté, de talent, de magie… Aucune faute de goût, émerveillé, je suis!
Commode
https://esthesis.bandcamp.com/album/the-awakening
16/12/2020
Flying Colors
Third stage: live in London
rock progressif – 110'40 – USA ‘20
Flying Colors est ce qu'on appelle communément un «supergroupe». Il est composé de Neal Morse aux claviers, Steve Morse, le guitariste de Deep purple, Dave LaRue, bassiste américain du groupe Dixie Dregs, Casey McPherson au chant et guitare sèche, et enfin l'inévitable Mike Portnoy à la batterie. Pour rappel, ce dernier fait (ou a fait) partie, entre autres, de Transalantic, The Winery Dogs, Dream Theater, Liquid Tension Experiment, Adrenaline Mob… Ce très beau live a été enregistré lors de la dernière tournée du groupe, fin 2019, dans une chouette salle de Londres: l'O2 Shepherd’s Bush Empire. Une salle où Neal Morse et Mike Portnoy ont déjà enregistré le live «Whirld Tour 2010» avec leur autre groupe Transatlantic. Avec un agenda surchargé, les musiciens n’ont pu assurer qu’une mini-tournée, d'où la bonne surprise de la sortie de ce live. Niveau titres, ils piochent dans leurs trois premiers albums et réalisent parfaitement leurs titres phares comme «Kayla» et «The Storm», les morceaux transcendants comme «Peaceful Harbour» et «More». On trouve aussi leur superbe ballade «You Are Not Alone». Au niveau plus prog, moins passe-partout, on trouve les titres comme «Infinite Fire» et «Crawl». Bref un bel éventail de ce que Flying Colors sait faire. Les musiciens sont au niveau qu'on attend d'eux; peut-être un petit bémol pour moi avec la voix de Neal Morse, mais heureusement Casey McPherson assure. La version avec DVD permet d'avoir encore plus l'impression d'y être. Un son et un mixage parfaits ne gâchent rien. Alors pourquoi vous priver de ce moment de bonheur…?
Vespasien
https://flyingcolors.bandcamp.com/album/third-stage-live-in-london
17/12/2020
McCullagh/MacKay
The Unicorns Are Screaming!
rock progressif/pop prog – 44’32 – UK-RSA ‘20
À la réception de cet album à chroniquer, je me suis dit que le titre était, pour moi, paradoxal. Car, si je savais que les licornes n'existent pas, je ne savais rien, en revanche, d'un duo prog Terence McCullagh & Gordon MacKay (McCully/Mackay Recordings). Mais peu importe le nom des cuistots si les plats sont bons!
Entrée:
«The Unicorns Are Screaming!» (7'15) [le lien youtube ci-dessous en est le radio edit…!]. Cette piste démarre majestueusement dans un style ELP, où MacKay aurait pu s'appeler MacKey (fils de claviers), McCullagh jouant toutes les autres parties. Mais trop vite des voix dédoublées nous ramènent vers quelque chose de plus radio. Le reste de l'album, au gré des morceaux, nous fera passer du meilleur au plus quelconque. Telles les pistes 5 et 6.
La 5, «Apocalypse Rising» (2'51). Un piano, comme des gouttes de pluie, des violons, une batterie comme un orage, c'est l'intro appétissante, avant qu'un riff de basse et le synthé ne nous emmènent dans une très belle mélodie… Mais déjà le morceau s'achève. TROP COURT! Remarquable concision. Qui pourra prétendre encore qu'une piste prog doit dépasser les 5 min? D'autant que l'on passe à la suivante 6:
«Hooked On The Blue Sea» (4'39). Une piste pop, propre et lisse, qui se termine en fade out aussi. Nothing to be hooked on.
Viennent ensuite 2 pistes qui passent bien: guitares chorus style Wishbone Ash et une voix proche de celle de Bowie (lequel aurait chanté l'annuaire que j'aurais trouvé cela intéressant), mais sont plus proches d'un radio edit que d'un prog pur et plus difficile d'accès.
«Where Do We Go?» (4'36). En reprenant un peu les mêmes ingrédients que la piste précédente, avec des variations de tempo, voici un morceau qui nous emporterait bien plus loin sans son fade out!
Enfin, «Who Will Sing Our Song?» (4'38). Belle ballade slow où CETTE voix excelle, la musique évoque du bon Wings. Beau solo de guitare pour une belle apothéose, dans cet album où les morceaux courts sont souvent les plus intéressants.
Au total, un album agréable, si ce ne sont ces trop nombreux fade out; les 46 min passent sans que l'on s'en rende compte.
Et même si la forme n'a rien d'identique, cela me laisse le même sentiment que l’album de Styx «The Grand Illusion».
Cicéron 3.14
https://mccullaghmackay.bandcamp.com/track/unicorns-are-screaming
18/12/2020
The Pineapple Thief
Versions Of The Truth
pop prog alternatif – 44’56 – UK ‘20
L’autre soir, je buvais un pot tranquillou avec Sénèque, lorsqu'il me ressortit les fables du vieux Platon. Galère! Non seulement ce type jamais n’esquisse le moindre sourire à l’écoute de mes plaisanteries, qui plus est s'permet d’nous plomber l’ambiance en élucubrant autour de LA vérité que pensent détenir trois “peyes” prisonniers d’une caverne à peine éclairée. Quel emmerdeur! Malgré l’agaçant “hors propos”, il n’avait pas vraiment tort ce rabat-joie. La société romaine était devenue si sophistiquée que l’on ne savait en quelle amphore baignait encore la réalité. Home, Sweet Home, j’allai voir ce qu’en pensaient les voleurs d’ananas.
Pineapple Thief, comme certains d’ses confrères, possède l'extraordinaire don de me projeter à travers le temps et l’espace. ‘Me r’trouve aussi sec emmitouflé d’un t-shirt MTV, baskets aux pieds, trépignant sur les bancs du collège. Les bandits n’arrivèrent pourtant qu’à la fin des 90’s mais, parce que “sonorité British”, parce qu’”esprit alternatif”, parce que “touche pop”, agit la magie pour que la madeleine fasse “Proust”!
“You sold me out before I had time to fight”, la direction est donnée. Intro xylo, graduellement étoffée de riffs secs ainsi que d’une rythmique ponctuant admirablement l’ensemble. Nuancé à souhait, le titre s’achève staccato nous laissant en compagnie d’un gaillard animé d’une folle envie de tout casser. Raisonner l’individu; la retenue reste de mise, ce qui n’empêche guère les guitares de gronder et d’insister bruyamment. Retour au calme? Arrivent des démons un peu plus Easy Listening, balançant par-dessus le groove moelleux leur emprise sur celui qui chante. Possession consentante, cousue de larsens “grandbleuesques”, immersion totale, fin abrupte. Le paisible refait surface. Bercé par le low-temp du sublime «Driving Like Maniacs», je me sers un Whisky et m’affale au creux du premier coussin venu. Avouons-le, cet album est jusqu’ici très bien construit!
Ensuite, guitare Dusty main dans la main avec piano électrique, presque Road Movie. Sans crier gare, d’étranges exécutants m’emmènent puis m’éjectent ficelé façon Rosette de Lyon sur le siège arrière d’une vieille Lincoln Continental. Tout s'accélère. De quoi suis-je donc le coupable? Trop de voix se bousculent dans ma tête, trop de questions…
Conduite frénétique, la voiture s’affole. Tour à tour Shuffle chaotique comme une route belge sur laquelle glisserait un trouble clavier, ou douce asphalte lissée billard. Vais-je me réveiller? Ce sommeil fou, teinté d’angoisses, n’est-il pas préférable au réel quotidien?
Batterie pointue, basse précise, refrains imparables, les deux titres suivants jaillissent de l’autoradio. Vers où roule-t-on? Quel est le sens de tout cela? Réel sous monitoring, respiration artificielle, ce jeu s’achève en douceur sans donner réponses à mes questions.
Mais les meilleures réponses sont des bonnes questions. Cet album en est une remarquable illustration. Le groupe maîtrise plus que jamais ce mélange pop-prog-alternatif dont il a le secret, parfumé de vapeurs discrètes...et de mots qui font sens.
Néron
https://kscopemusic.bandcamp.com/album/versions-of-the-truth
19/12/2020 : Les Samedis Etranges
Dustman Dilemma
Third Sigh
rock expérimental / rock progressif – 40’12 – France ’20
L’atmosphère de «The Bunk» m’évoque Robert Wyatt, celle de «Third Sigh», Brian Eno: j’ai connu des premiers abords de moins bon augure. Dustman Dilemma est un trio de multi-instrumentistes (Pierre Blin, Samuel Frin et Nicolas Tritschler), largement complété d’invités (dont certains tiennent le rôle d’«apparitions»), affilié à l’association caennaise, L’étourneur, qui écrit une musique assez rafraîchissante et idiosyncrasique (les références que je cite ne sont que des références), avec un sens novateur – ou, plutôt, «ré-novateur», c’est-à-dire qui exploite avec finesse le répertoire préexistant de l’expérimentation sonique – du détail sonore (le final de «Passemèche»), une aptitude pondérée à la mélodie (la ligne de basse de «The Backlight», le piano de «So And Then» ou l’ineffable et excellent «The Grip», avec ses textures multiples et son riff incontestable – il aurait pu figurer sur «Taking Tiger Mountain (By Strategy)», la voix aidant – et une versatilité qui tient bien plus d’une économie de la constance que de l’indécision. Tout à fait intéressant.
Auguste
Lucrecia Dalt
No era sólida
avant-garde / ambient psychédélique – 40’02 – Colombie / Allemagne ’20
C’est un petit bijou délicat dans un écrin de velours noir que Lucrecia Dalt, Colombienne établie à Berlin, a ciselé avec une intelligence et une créativité rares sur «No era sólida». Entre murmures soniques et illusions auditives, oscillations et hallucinations vibratoires, la musicienne accompagne le parcours métaphysique de Lia, personnage à qui elle donne vie au travers d’une glossolalie – un quasi-langage extatique fait de sons inintelligibles (rendus abstraits par le delay et la fusion avec les autres éléments sonores) – aussi hantée que les sons feutrés et mystiques produits par l’électronique – Dalt est passée par le GRM (Groupe de Recherche Musicale) à Paris. Dalt bâtit sur du sable un monde ondulant, où les boucles et les percussions se répètent de façon imprévisible, se retiennent d’hypnotiser pour enfanter un flux de tension Une vision singulière (on pense à «Rock Bottom»), d’une subtilité à couper le souffle.
Auguste
https://lucreciadalt.bandcamp.com/album/no-era-s-lida
Le Grand Sbam
Furvent
experimental/RIO/zeuhl – 59’54 – France ‘20
Voici la deuxième livraison de ce groupe déjanté, Le Grand Sbam. C’est le collectif de musiciens, label et également structure de production de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui se charge de ce groupe atypique. Mais je préfère les laisser se présenter eux-mêmes: «Le Grand Sbam est un collectif de création, de recherche et d’expérimentation musicale qui défend la musique vivante dans toute sa richesse, sa complexité et son universalité. Le Grand Sbam, ensemble à géométrie variable, explore et défriche un terrain esthétique débridé, fertile et imprévisible, tout en s’inscrivant résolument dans une démarche d’écriture contemporaine.»
Mais encore, me direz-vous. Certes, la musique défendue par ce collectif n’est guère des plus faciles. Mais les amateurs de zeuhl seront comblés. Il existe en effet de nombreuses similitudes avec les recherches musicales et sonores de Magma. Ils sont huit à composer Le Grand Sbam. Tout d’abord les deux compositeurs, à savoir Antoine Arnera (pianos) et Guilhem Meier (batterie). Les autres protagonistes participant à cette aventure sont Jessica Martin Maresco et Marie Nachury (chant), Anne Quiller (Rhodes, synthétiseur), Mihai Trestian (cymbalum ou piano tzigane), Boris Cassone (basse) et Grégoire Ternois (percussions). L’œuvre présentée à vos oreilles attentives s’inspire du roman d’Alan Damasio, «La horde du contrevent» (roman mêlant science-fiction et fantasy), et de la symbolique du Yi Yin (système de signes binaires utilisé pour faire des divinations). Onze titres composent donc la trame de cette plaque, dont huit s’inscrivent directement dans l’esprit Yi Yin, abordant des thématiques comme le Tonnerre, le Feu, le Vent, la Terre, le Lac, le Ciel, l’Eau et la Montagne, le tout sur des minutages allant de presque trois minutes à un peu plus de cinq minutes. «La Trace», qui ouvre l’album, s’étend sur plus de dix-huit minutes et nous emmène immédiatement dans le monde de nos artistes. «Choon Choon» vous permettra de quitter cette plaque sur une mélodie tzigane, chant et piano. Réservons donc cette galette aux plus aventureux d’entre vous, ceux qui apprécient les musiques réputées difficiles.
Tibère
Kırkbinsinek
Toprak Ana
psyché expérimental – 45’46 – Turquie ‘20
KiRKBiNSiNEK est un groupe turc, plus précisément originaire d’Istanbul, formé en mai 2008 et composé d’Alper Antmen (guitares, chant), Volkan İncüvez (guitare), Douglas Vegas (synthétiseurs), Tolga Öztürk (basse) et Özgür Devrim Akçay (batterie, chœurs). Ils pratiquent un genre musical intitulé Anatolian rock, composé de rock évidemment, mais aussi de musique populaire turque. Ils se disent influencés par le mouvement psychédélique des sixties et des seventies. Le nom de leur groupe provient d’un poème de Charles Bukowski de 1972 (40.000 Flies). Ils l’ont choisi en pensant au bruit de 40.000 mouches volant au même endroit, en même temps. «Toprak Ana» constitue leur quatrième galette. Dès les premières notes de «Pus Almış Dağı», nous voici emportés dans une atmosphère un tantinet bucolique, mais sombre pour ce titre de plus de sept minutes. C’est après 2’50 que la ressemblance avec le groupe tchèque The Plastic People of Universe me saute aux yeux (et c’est un compliment), malgré des errements plus psychédéliques. Un peu de post-rock, c’est ce qui nous attend avec «Kuş». Les guitares développent des sons plus orientalisants et proches, je l’imagine, du folklore turc. Les essences psychédéliques se font bien sentir dans «Dağlara Yol Var». Retour aux ambiances turques pour «Maden»; j’en oublie de vous prévenir: pour nos oreilles occidentales, il faut s’habituer au chant, plus dans les traditions orientales et déclamatoires, évidemment. Quand arrive la plage titulaire, nous voici embarqués dans un son plus proche de nos habitudes. De belles envolées guitaristiques sont l’apanage de «Dalyan», propres à nous faire rêver. Une superbe plage de plus de dix minutes, «Duvar», clôture en beauté notre écoute attentive. Abandonnez vos préjugés et n’ayez aucune crainte à découvrir des horizons inexplorés, vous ne le regretterez pas.
Tibère
https://kirkbinsinek.bandcamp.com/album/toprak-ana
Arnaud Bukwald
La Marmite cosmique VI
Canterbury/rock progressif – 34’04 – France ’20
Deux longs morceaux font l’épisode «Six» de «La Marmite Cosmique», et «Contes lunaires», épique de plus de vingt minutes, patchwork d’influences multiples, convoque des sonorités enfantées sur plusieurs décennies, du Canterbury de Soft Machine au zeuhl (apprivoisé) de Christian Vander, en passant par le champêtre de Mike Oldfield, la flûte et la harpe pastorales, l’orgue de Jean-Luc Manderlier, les cuivres altiers, comme une collection infinie et régénérée de timbres chaque fois contextualisés mais renouvelés, alliés aux voix, d’Arnaud Bukwald lui-même (il compose et arrange en sus – et à ce propos, le job est particulièrement exigeant) et de Cherry Pob. C’est là un des aspects surprenants – intéressants, troublants, gênants? – des «Marmites Cosmiques», cette infinie propension à recycler les sons, à les ordonner dans des accommodements qui oscillent sans cesse entre «j’ai déjà entendu» et «peut-être, mais pas tout à fait comme ça»… «Dynamogeny», lui, est plus cosmique – et Floydien.
Auguste
https://arnaudbukwald.bandcamp.com/album/la-marmite-cosmique-six
20/12/2020
Ozric Tentacles
Space for the Earth
psyché/space rock/progressif – 47’17 – UK ‘20
Le band formé en 1983 par Ed Wynne, multi-instrumentiste épaulé aujourd’hui par des membres directs de sa famille (sa femme Brandi et son fils Silas Neptune), opère tant dans le genre psyché que dans des courants aussi variés que l’électro, le space rock et un progressif mâtiné de sonorités jazzy («Harmonic Steps», «Stripey Clouds» et l’excellent «Humboldt Currant») en ajoutant quelques très légères touches ethniques comme c’était le cas pour le précédent double album «Technicians of the Sacred», il y a déjà cinq ans. Avec plus de trente albums à son actif, Ed nous a déjà bien fait voyager dans ses univers cosmiques où les synthés se conjuguent à merveille avec son doigté guitaresque (six mais aussi huit cordes) et la batterie redoutable de Nick Van Gelder, membre originel du band revenu ici pour la circonstance. Telle composition vous fera immanquablement penser au son «Hillage» tout en s’en décalant nettement par la rythmique et un grain de folie de pure essence «Ozric» né de cette combinaison de basse, batterie et envolées métaplanantes de claviers virevoltants. Pour cette sortie longtemps attendue par les fans, on retrouve également le manipulateur originel de synthés Joie Hinton. Les interventions vocales sont échantillonnées et la flûte additionnelle est assurée par Champignon (il n’en a pas avalé, c’est son nom de musicien… quoique…). Par rapport aux précédents opus, j’ai trouvé celui-ci plus «étudié», mariant parfaitement une ligne mélodique résolument psyché à un rock jazz-funky aux sonorités ciselées spatiales et progressives sous plus d’un aspect (on y trouvera même un rappel de «On the Run» de Pink Floyd, juste le temps de quelques mesures bien dosées). La guitare, au solo qui tue sur «Climbing Plants», manie les effets d’écho avec parcimonie et reste ainsi d’un bout à l’autre d’une redoutable efficacité, secondée par des cascades de synthés qui nous laissent sur les genoux. La seule chose à reprocher à cet album est qu’il est bien trop court!
Clavius Reticulus
https://kscopemusic.bandcamp.com/album/space-for-the-earth
21/12/2020
bArtMan
Crisis
rock progressif – 53’12 – Allemagne ‘20
Déjà le neuvième album pour les Allemands de bArtMan. En fait, utiliser le pluriel est erroné puisque bArtMan est le projet d’un seul homme, Torsten Bartkowiak.
Dès les premières notes, c'est à Pink Floyd que l'on pense. C’est atmosphérique, quelquefois planant, et c’est à la période de la fin des années 60 (et en particulier à «Ummagumma») que je pense pour qualifier l’ambiance générale de ce «Crisis».
En fait, sans être un clone de la bande à Waters, il faut avouer que quand Torsten chante, dans les graves en particulier, la comparaison est évidente… Et c’est là qu’est l’os, hélas… car bArtMan nous propose de la bonne musique, mais ne révolutionne rien et surtout pas le rock progressif. Une impression de déjà maintes fois entendu se dégage de l’écoute de cet album, ce qui donne plutôt l’envie de se replonger dans la discographie de son influence déjà citée dans cette modeste chronique.
En résumé, cet album devrait intéresser ceux d’entre vous qui veulent tout avoir et tout connaitre; le choix des autres se portera vers d’autres artistes, la page Prog censor
est là pour les y aider.
Tiro
Album non disponible sur bandcamp.
22/12/2020
Rick Miller
Unstuck In Time
crossover prog/prog mélodique – 55’39 – Canada ‘20
Rick Miller est un musicien prolifique qui enchaîne les sorties depuis l’an 2000 alors qu’il avait débuté en 84, à la sortie de son 1er album. Si je vous dis Pink Floyd, Alan Parsons Project, Moody Blues ou Genesis, vous allez vite comprendre où il va vous emmener pour ce 15e opus: dans le rock progressif atmosphérique, du progressive rock sombre, mélancolique, mélodique; Rick est le premier à dire qu’il y a peu de place pour la fusion jazz – tiens ça va me changer! – ou pour les sonorités énergiques métal-prog. À noter aussi que c’est son second album en 2020 avec un morceau ayant une référence ciblée sur le covid et vous aurez compris qu’il a de fait plus de temps pour composer. Partons dans cet univers monolithique mélodique.
«The Plague» entame sur un ersatz mis à la sauce du jour des Pink Floyd ère Gilmour et «a momentary», break grégorien, ambiance élastique et des tiroirs prog qui se suivent entrecoupés de sa voix suave. «State of Emergency» même veine avec un ton au-dessus, puis ligne mélodique similaire. «Covid Concerto» sur une intro synthétique qui me rappelle The Cars, bien dans l’ambiance des 80’s! Pied de nez à ce virus qui nous pourrit un peu la vie? Compo dans la lignée d’un instrumental d’Alan Parsons. «Fateful Apparitions» sur un titre beaucoup plus complexe, ambiant, intimiste, sombre, angoissant, corbeaux qui viennent dans un break rappeler qu’il ne faut pas s’endormir, du Pink Floyd ou du RPWL psychédélique, intéressant car casse un peu la lignée des titres. «La Causa» sur un air flamenco, dansant, aérien et dynamique qui vient réveiller vos vieux os et qui égaye nos oreilles.
«Lost Continuum» et l’intro qui te baigne dans les Moody Blues, encore plus sur le premier King Crimson, une flûte, air limite arabisant du violon, fin plus aérienne presque religieuse sur les mantras lointains. «In Sync with the System» part là sur du Barclay James Harvest, titre plus chanté et rythmé, c’est calme, le break synthé 80’s dénote un peu ici. «Broken Clocks» sur un titre très court dans la même veine sans les breaks qui passe peut-être mieux! «Unstuck in Time» et le titre phare avec tiroirs pour faire partir de-ci de-là, beau titre mais avec encore un air de déjà-vu et des soli de Barry qui font monter en émotion.
Rick Miller a sorti un album dans la lignée de l’avant-dernier, qui ressemblait un peu à celui d’avant; c’est bon et vous trouverez tous les ingrédients qui ont fait vibrer il fut un temps; mais trop est peut-être arrivé ici à force de remettre une couche aussi belle soit-elle, vous risquez de trouver la redite un peu trop évidente. C’est bien mais – oui il y a un mais – c’est un beau fac-similé de ses albums précédents, sans grande innovation ici. Dommage pour quelqu’un qui le suit, agréable surprise pour quelqu’un qui ne connaît pas encore.
Brutus
https://rickmiller.bandcamp.com/album/unstuck-in-time
https://www.youtube.com/watch?v=YHkRRZCJxfg&feature=youtu.be
23/12/2020
Il Bacio della Medusa
AnimAcusticA
rock progressif – 81’24 – Italie ‘20
«AnimAcusticA» est le deuxième album live de ce groupe italien originaire de Perugia et ce, depuis 2002. Après leur dernier opus en studio, «Seme» de 2018, Il Bacio della Medusa a décidé d’essayer un petit trip acoustique. Ce qui fut réalisé le samedi 19 octobre 2019 dans le cadre du festival Trasimeno Prog dans la mythique salle italienne du Palazzo della Corgna in Castiglione del Lago. Voici l’équipe composant notre bande: Simone Cecchini (chant, guitare acoustique), Diego Petrini (batterie, piano, synthé, mellotron), Federico Caprai (basse), Simone Brozetti (guitare électrique), Eva Morelli (flûte, saxo) et Somine Matteucci (guitare électrique). Tous s’avèrent d’excellents instrumentistes (le groupe existe depuis vingt ans!): je reste médusé par ce baiser!
Mais entrons dans le vif du sujet par l’écoute de «Preludio: Il Trapasso» où, d’entrée de jeu, le piano et la flûte se font caressants tandis que le chant, plutôt doux et délicat (pour un groupe italien), prend même des accents tziganes: nos amis savent qu’ils auront de l’amour et du vin (vous verrez un peu plus loin) et cela les embellit. «Confessione d’un Amante» continue sur cette lancée. Avec «Il Vino (Breve delirio del Vino)», l’ambiance évolue pour se tourner vers les bars en fin de nuit, ce que ne renierait pas Paolo Conte. Vous voyez, nous y sommes arrivés finalement au vin! On continue sur des diversions piano bar, avec de splendides interventions aussi bien de la flûte (elle me fait penser à Jethro Tull) que du saxophone. C’était «La Sonda» que l’on quitte en sifflotant. Avec «5 e 1/4 … Fuori dalla finestra il tempo è dispari», le jazz s’invite de plus belle avec même des inflexions de free jazz, sans pour autant renier les influences tziganes. Laissez-vous emporter par la finale débridée (à part les toutes dernières notes) de «Animatronica Platonica» avant de vous envoler plus loin sous les inflexions de l’harmonica sur «Sudamerica». La basse nous emmène ensuite ailleurs avec «Uthopia... Il Non Luogo!». Partons pour un trip envoûtant de onze minutes avec «Scorticamento di Marsia» s’énervant tout à coup à mi-parcours pour redescendre par la suite. Le piano et la flûte se disputent la quiétude sur «Cantico del poeta errante». Pour l’intro au piano de «De Luxuria, Et de Ludo, Et de taberna», on s’attendrait presque à entendre des olé au vu de l’ambiance générale de ce titre! «Corale per Messa da Requiem», morceau piano/voix verse dans le quasi religieux. «Testamento d'un Poeta», l’inédit de ce bel album qu’il est temps de quitter sur la pointe des pieds afin de ne pas gâcher la grâce dégagée.
Je ne connaissais pas cette formation transalpine, mais il est encore temps de me rattraper. Faites-en autant et précipitez-vous pour jouir pleinement de cette très belle production.
Tibère
https://ilbaciodellamedusa.bandcamp.com/
24/12/2020
RING VAN MÖBIUS
The 3rd Majesty
rock progressif vintage – 47’49 – Norvège ‘20
La Norvège, pays du prog 2020? Après les excellentes productions de Wobbler et d'Arab's in Aspic (argh ce nom terrible), les remarquables Airbag et Gazpacho, quid de ce nouveau Ring Van Möbius? Écoutons.
«The 7 mouvement of the 3rd Majesty» (22'05). Quand un gong ouvre un morceau, je pense à Alan White («The ancient») ou à Carl Palmer («Tarkus»). Et c'est plutôt vers ELP qu'il faut aller chercher les premières sonorités. C'est riche, avec de nombreuses ruptures (7 c'est dans le titre – autant que Tarkus d'ailleurs!), qui permettent de repartir dans d'autres directions. Le jeu du batteur (Dag Olav Husas) qui semble bien plus proche de celui de Guy Evans (VdGG) que de Palmer, nous écarte un peu du son ELP. Le chanteur et organiste, un utilisateur de marteaux donc, est Thor Erik Helgesen, n'est ni Lake ni Hammill quoique son jeu orgue+voix s'approche un peu de VdGG. Son vibrato fait penser à D. Byron (Uriah Heep). À la fin, 18'57, Gentle Giant est invité, funny ways fournissant le thème final mais avec un gong pour presque clore: Tarkus! Le tout faisant de ce long morceau un agréable voyage vintage. Et cela tombe bien car c'est la volonté du groupe: faire aujourd'hui du prog de 1971.
«Illuminati» (5'33) s'ouvre dans la même verve, avec peut-être un peu plus de distorsion sur les claviers et un merveilleux break façon Gentle Giant, voix puis clavier. J'aime! À partir de la 2e écoute on adore (2e pas seconde, hein!). Enfin le clavier s'éteint dans une cathédrale!!! Amen.
«Distant sphère» (11'11). Violons romantiques et voix intimiste ouvrent seuls la piste. Une basse (Håvard Rasmussen) et un Rhodes viennent ensuite sur un thème lent, un peu inquiétant. Lorsque la batterie les rejoint, le rythme s'accélère et le Fender se distord. Un break et la basse racle aussi pour démarrer une partie déstructurée, avant qu'un clavier très canterbury ne nous sorte un instant de ce marais où nous replongeons avec délice pour plusieurs apnées, et ressorte vainqueur sur un tempo maintenant apaisé et grandiose d'orgue distordu aux accents majestueux d'une Pavane debussienne.
«The Möbius ring» (9'). J'aurais préféré pour le symbole qu'il n'en dure que 8 min, ce qui finalement aurait été dommage car ce dernier morceau est au niveau du reste de l'album, dans une tonalité plus Yes dans les fortissimi, et Camel dans le calme (anagramme 😉 ) Avec une fin un rien pompeuse, mais le prog c'est parfois comme cela qu'on l'aime, non?
En conclusion: Ring Van Möbius, avec un personnel équivalent à celui d'ELP, présente une osmose et une palette plus large. Leur objectif est pleinement atteint. Norway 12 points.
Cicéron 3.14
https://ringvanmbius.bandcamp.com/album/the-3rd-majesty
25/12/2020
Tarja
Score for a Dark Christmas
(From Spirits and Ghosts + Christmas Together)
noël gothique/symphonique/classique – 70’18 + 64’38 – Finlande ‘20
Beau cadeau à (se) faire que ce digipack superbement complété par un livret illustré d’icônes artistiques de la belle gothique Tarja Turunen
! N’y cherchez cependant aucune envolée musclée de la veine metal symphonique! Ces particules d’étoiles sont destinées aux amateurs de lyrique et de chants de Noël magistralement refaçonnés par la reine ténébreuse des terres nordiques. Orchestration symphonique bien présente pour le premier volet issu d’une réédition mais l’instrument principal reste la voix à la fois puissante et modulée de la prêtresse finlandaise. Ce premier CD nous ressert le «From Spirits and Ghosts» de 2017 et le complète de quatre plages revues «dark» dont le superbe «Feliz Navidad» où d’autres voix rejoignent celle de Tarja. Intérêt plus particulier donc pour le concert, inédit cette fois, de «Christmas Together»: un live enregistré dans le Grand Nord en 2019 où l’on découvre, entre autres, quatre interprétations de l’«Ave Maria» (ceux de Paolo Tosti, Michael Hoppé, Giulio Caccini et celui de la diva elle-même) que l’on trouve sur l’album «Ave Maria en Plein Air» de 2015, déjà cité par ailleurs. Que dire encore sinon que ce petit bijou ravit l’âme du mélomane par la quiétude et les sonorités enchanteresses de la voix céleste de Tarja? Le plus souvent épurés de toute pompeuse grandiloquence orchestrale, coulent ici des parfums d’infini et de plénitude que l’on écoutera au coin du feu où dansent les flammes du renouveau spirituel. «J’ai exploré l’autre face de Noël, celui des gens seuls et celui des absents. Le Noël de celles et ceux qui ne trouvent pas la joie dans le scintillement des lumières et les tintements des clochettes (Tarja)». C’est réussi, Tarja, cet album est l’écrin de ton incontestable talent de soprano lyrico-dramatique loin de l’univers métallique de Nightwish!
Clavius Reticulus
Album non disponible sur bandcamp.
26/12/2020
Martine
Martine
fusion – 41’26 – France ‘20
Parodiant la célèbre série initiée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, que tous les garçons connaissent même si c’est pour les filles, voici «Martine fait du jazz-rock/fusion»! Comme Esthesis, Martine est de Toulouse (quand je vous disais que la ville rose devrait être désignée capitale du rock en France…). À la croisée des chemins de travers (pas de "e", c’est volontaire), Martine enroule un jazz-rock ou plutôt du jazz et du rock sur un poteau rose (là aussi, voulu, qu’est-ce qu’on se marre!) de fusion biscornue et ambigüe, triturant du Soft Machine jazzy (5, 6, 7) dans une potion parfois «magmaïenne» (oui, ça c’est à cause des voix féminines, je pense, l’inconscient se révèle). La France est une des terres les plus fécondes pour ce type de musique, dévoilant au fil du temps des formations émargeant aux confins de l’épique, du picaresque et du sensationnel avec une nonchalance non feinte! Je sais qu’il faut un sacré talent pour tripatouiller une engeance pareille mais Martine semble si facile dans sa disjonction des genres, la zeuhl et le rock in opposition ne sont jamais loin, des accents gutturaux de Magma surnageant de justesse dans une euphonie, en pointillés au bord du ravin, évitant la cacophonie, son contraire, avec des ajouts de jazz moderne tout à fait excitants dans le contexte. Mais n’est-ce pas là la marque de fabrique de ces groupes dont notre territoire national a la concession depuis les années 70? Je les aurais bien vus au Festival RIO de Carmaux, ces gens-là; le septuor (deux filles, cinq garçons) y aurait eu une belle place genre «Martine va à Rio»… Trêve de facétie bouffonne, Martine (ça me fait drôle là aussi, ma femme s’appelant ainsi, décidément!) décline un drôle de bel album qui s’écoute avec plaisir, celui de marcher dans un paysage anachronique issu de cultures variées mais qui nous ramènent toutes aux fondations jazz. Mais un jazz déstructuré, aux cuivres s’arrogeant parfois la place des guitares avec une redoutable aisance. C’est jeune, c’est frais, c’est iconoclaste, c’est l’esprit frenchy qui ne s’embarrasse pas de contraintes stylistiques, une bouffée musicale qui propulse ses volutes avec un charme fou. Pourtant, je me répète, il en faut du talent et des années de formation musicale pour dériver vers cette folie salutaire, des gammes mises au service d’un album qui ne se prend pas au sérieux, même si certains thèmes n’invitent pas à la gaudriole («If you don’t know», par exemple). Des titres comme «Onani», «La tartine» ou «Décompensation» dévalent des monts et merveilles; rarement cuivres auront été aussi porteurs de rêves musicaux qu’on croyait destinés au rock progressif pur et dur (les rêves, pas les cuivres!). Quand on sait que Valeria Vitrano, Manon Chevalier, Dimitri Kogane, Valentin Avoiron, Eric Pollet, Daniel Dru et Pierre-Jean Meric ont évolué ou évoluent dans de multiples formations allant du punk au be-bop ou du psychédélique au jazz, additionnant les récompenses, les expériences et baignant dans la musique de tous bords possibles, on comprend mieux l’exigence et l’amalgame fondus au sein de Martine, un groupe comme on aimerait en entendre plus souvent! Ah oui, la pochette, le cosmonaute… Non, pas trop en adéquation mais est-ce une ultime pirouette?
Commode
https://martinemusic31.bandcamp.com/album/martine
27/12/2020
Samuel Hällkvist
Epik, Didaktik, Pastoral
Jazz/rock progressif – 41’36 – Danemark ’20
Il a une sacrée carrière discographique derrière lui: vingt ans de participations occasionnelles, dans des groupes stables (Isildurs Bane) ou de disques en son nom propre. Samuel Hällkvist propose aussi une façon particulière, non conventionnelle, de jouer de son instrument: il triture, tourmente, torture sa guitare, pour en extirper des textures étranges, des "trous", des "arrêts", sortes de brefs bugs (intentionnels) dans son algorithme de flux sonique, responsables d’une rythmique complexe au même titre que la programmation MIDI (Hällkvist aussi), la basse (Dick Lövgren) ou la batterie (Knut Finsrud). Trois trompettistes (Yazz Ahmed, Luca Calabrese et Noel Langley) se relaient sur quatre des dix titres, ajoutant leur touche cuivrée à un ensemble, certes de grande qualité, mais qui pêche par un design sonore (Katrine Amsler) dont la cohérence frise la monotonie. En gros, soit on plonge dedans les yeux fermés, en retenant son souffle (comme ce jeu des enfants pendant que la voiture franchit le tunnel) et sans se poser de question, soit on y goûte par petites becquées.
Auguste
https://samuelhallkvist.bandcamp.com/
28/12/2020
Mark Kelly’s
Marathon
crossover/prog-rock – 43’51– UK ‘20
Mark Kelly (Mark Kelly's Marathon) est depuis 1985 le claviériste attitré de Marillion. Après quelques incursions rares sur quelques albums, il sort ce «Marathon» car la vie n’est pas un sprint. Du pop-rock sur une histoire aérienne d’Amélia, pilote de l’air partie brutalement en 1927, et sur les contacts plus distanciels dus à cette fâcheuse pandémie, bref ce que nous vivons actuellement. Mark sort donc son album avec peu de guests, hormis son compère Steve, mais de très bons musiciens pour une ballade progressive innovante.
3 parties dans cet album dont Amelia en 3 parties, avec «Shoreline» en intro ambiante, aérienne, voix off de Nasa derrière amenant «Whistling at the Sea» sur un air d’Alan Parsons, morceau soft, doux, presque langoureux limite Bee Gees dont on peut remarquer le timbre de voix d’Olivier flirtant ou avec celui de John Mitchell, plus avec celui de l’archange; mid-tempo avec petite déclinaison au piano puis notes de synthé partant d’APP à Genesis, solo de guitare posé et jouissif de John qui en impose. «Bones» enchaîne sur un air comptine plus génésisien que marillionien et la part belle aux voix dans un style soul music, final explosif avec batterie, guitare et claviers presque en retrait, bon on entend les vagues quand même.
«When I Fell» est le titre rock FM, ou ballade (oui au temps où la radio correcte existait) avec un murmure vocal doublé du solo de claviers dont un Hammond de Mark, tant attendu, sensation d’avoir un peu des Barclay James Harvest ici, rupture finale avec une basse-dub limite boîte de nuit singulière. «This Time» le single de l’album part là bien sur un air pop, groovy, piano de base en arrière fond, c’est cool, dansant, pour le plaisir de l’écoute, déroutant pour un progueux en recherche d’émoi. «Puppets» arrive, piano monolithique en intro, couplet rien que de très normal jusqu’à un solo de Steve Rothery son compère, émouvant; puis les deux partent sur un jig synthé-guitare bouleversant, gommant un peu le titre passe-partout d’avant; bon là le prog suinte comme au temps je dirai de «Clutching», on part, on est bien avec le 2e solo de guitare final.
«Twenty Fifty One» arrive, 4 parties dont «Search» et un départ dans l’espace, ah que ça fait du bien, j’imaginais depuis longtemps Mark nous faire rêver, il le fait ici sur cette intro symphonique, progressive; solo guitare fruité des mille et une nuits lors de ce décollage permettant à «Arrival» de se lancer avec la voix propre d’Oliver au départ puis plongeant dans un second temps dans celle de Peter Gabriel, titre qui décolle progressivement à mi-parcours comme souvent, qui ralentit en musique et en air à la fin pour lancer «Trail of Tears» qui me rappelle plus Tony de Genesis que Mark de Marillion! Un break progressif sorti de nulle part, enfin de ses claviers, trop court mais bon la rareté n’a pas de prix; voix d’Oliver posée et «Brief History» qui finit l’album avec voix en chœurs, guitare spleen et les claviers soutenant ce son pop-prog frais et enjoué, sur une finale instrumentale rappelant ici les grande heures de Marillion première mouture.
Bon, autant le dire, j’ai eu peur au début de l’orientation pop donnée à l’album, mais force est de constater que les musiciens tiennent haut le pavé, que ‘l’absence’ de guests donne plus de poids à ces titres, que le côté pop en ces temps où le rock n’est presque plus écouté donne un air jovial de fête et permet d’amplifier les breaks progressifs aussi petits et subtils soient-ils. Un album qui fait de la belle musique sans se poser de questions c’est déjà pas mal je trouve; à noter la sortie en CD, digipack et DVD dont la session enregistrée aux studios Real World un signe.
Brutus
Album non disponible sur bandcamp.
29/12/2020
Il Rovescio Della Medaglia
Contaminazione 2.0
rock progressif symphonique – 67’16 – Italie ‘20
Il Rovescio della Medaglia, né en 70, fait partie de ces groupes italiens historiques qui ont pris un nom à rallonge, histoire de créer une mode qui a conduit de nombreux groupes se revendiquant "prog" à adopter cette tradition. Et donc les chroniqueurs, un peu fainéants, ont eu tôt fait de les limiter à leurs seules initiales. Parfois c'était dicté par le marché anglo-saxon, comme pour PFM, dont le nom complet [Premiata Forneria Marconi, ndlr] se transformait souvent en nom de... pâtes! Tout comme PFM, RDM avait chanté en anglais, avec un peu moins de succès cependant, bien que ce soit leur meilleur album qui ait bénéficié de ce traitement.
Dommage, car «Contaminazione» (qui n’a rien à voir avec la tragique pandémie actuelle), 3e album de RDM, est bien une pièce maîtresse de prog italien symphonique. Ce «Contaminazione 2.0» est un live de 2018, sorti cet automne, qui reprend l'intégralité de l’album de 73, joué dans l'ordre, plus, en bonus, la moitié de leur 1er album, «La Bibbia», marqué plus hard-prog.
Seul rescapé du groupe originel, le guitariste Enzo Vita, il y a peu, s'était adjoint le groupe Ranestrane pour se produire au Japon et publier un live. Fait lui aussi avec l'intégralité de «Contaminazione»! Mais cette nouvelle version, avec un RDM renouvelé et un quatuor à cordes, est encore meilleure. Dans le fond et la forme. La qualité sonore est parfaite et le groupe fonctionne très bien pour exécuter cette œuvre symphonique virevoltante, imprévisible et fraîche.
«Contaminazione» est un concept album qui raconte l'histoire d'un musicien écossais fou de J.-S. Bach. Clavier bien tempéré, partita, toccata contaminent cette œuvre jusqu'à produire une intrication quasi parfaite. Autant l'on peut trouver nombre de collages, d'interprétations et de plagiats plus ou moins heureux, entre musique classique et prog, autant ici la fusion est pertinente et jouissive.
Alors il ne faut pas s'étonner de voir Enzo Vita venir ainsi retravailler son chef-d'œuvre pour le porter au sommet. Je pense qu'il y est arrivé: l'interprétation et la qualité sonore sont parfaites. Je n'ai jamais eu la chance de voir RDM, car le COVID a annulé le festival italien «2 Days Prog + 1 Festival» où il devait se produire en septembre. Mais il nous reste ce superbe live pour patienter jusqu’à la prochaine opportunité d’une contamination bénéfique.
Cicéron 3.14
https://jolly-roger-records.bandcamp.com/album/contaminazione-20
30/12/2020
David Minasian
The Sound of Dreams
rock progressif – 74'46 – USA ‘20
Il faut se plonger jusqu’à 1984, avec l’album «Tales Of Heroes And Lovers», pour trouver la première trace discographique de ce musicien américain qui, déjà à l’époque, proposait une musique mélodique imprégnée de la mutation du prog opérée durant les années 80 et incarnée, par exemple, par les albums de Camel durant cette période.
En 1996, accompagné du chanteur William Drews, il commet dans un style pop-rock «It’s not too Late», album dont je vous défie de trouver une trace sur le Net. Et puis en 2010 il propose le remarqué «Random Acts of Beauty» qui lui donnera ses premiers titres de noblesse.
Mais d’abord qui est-il? Minasian est avant tout un réalisateur, producteur et scénariste de films, essentiellement des documentaires. Mais il s’est également occupé de réaliser des clips et des vidéos des concerts d’artistes comme Justin Hayward et Camel.
C’est dès lors avec un carnet d’adresses bien rempli qu’il se lance dans la réalisation de son nouvel album «The Sound of Dreams» sur lequel vous trouverez entre autres des musiciens comme Justin Hayward, Steve Hackett, Annie Haslam et Billy Sherwood.
Musicalement cet album est baigné de la mouvance progressive mélodique des années 70 et 80. Ainsi le voyage se love dans le sillage des Moody Blues, de Barclay James Harvest, d’Alan Parsons Project, de Camel… Le premier titre, «The Wind of Heaven (Prologue)», dont le chant est tenu par Justin Hayward, en témoigne. Il s’agit d’une entrée en matière qui nous convainc instantanément de la teneur de l’album et contribue à nous entraîner sagement vers une épopée solennelle certes d’un autre âge mais totalement réussie: suavité mélodique, sonorités merveilleusement surannées et évocation du passé par des ambiances presque mélancoliques.
Sans doute dû à la mansuétude d’airer dans une autre époque, la plage titulaire en est presque le factum panégyrique. Un oxymore qui caractérise une musique sublime mais abusée en son sein par la voix à présent altérée (euphémisme) d’Annie Haslam.
Mais ce long titre réserve des surprises avec notamment l’intervention salutaire de Steve Hackett dans un solo dont il a le secret.
Une musique au ton toujours calme et inspiré. Comme un album magique qui tourne en boucle sur l’incarnation de sa propre définition. Des sons, des chants, des envolées spacieuses, des ambiances qui passent comme un halo vous enveloppant et vous rêvant dans d’autres strates temporelles, dans d’autres lieux, dans un univers éteint mais ravivé au jour le jour par le souvenir intarissable de ceux qui le choient.
Ceci est l’archétype de ce qui a révulsé la presse musicale des années 80. C’est comme un pied de nez jouissif en guise de revanche; votre revanche?
Superbe album!
Centurion
Album non disponible sur bandcamp.
31/12/2020
Hawkwind Light Orchestra
Carnivorous
space rock/heavy psyché – 71’16 – UK ‘20
Cet opus était pensé initialement comme projet solo de Dave Brock. Il termine en fait le trip de «All Aboard the Skylark». Pourquoi «light orchestra»? Pas pour paraphraser l’«Electric Light» du même nom, mais plutôt pour renommer la version allégée (light, in english) du line up originel, c’est-à-dire qu’il manque Mr Dibbs à la basse et Tim Blake aux claviers. Qu’à cela ne tienne, les spationautes s’en sortent magistralement pour ce second trip (après «Stellar Variations» de 2012) réalisé pendant le lockdown forcé par l’extraterrestre microscopique que nous connaissons trop bien! Je l’ai déjà dit, la galaxie Hawkwind alterne souvent le pire et le meilleur et cette fois ils entrent dans la deuxième catégorie. Tous les ingrédients sont parfaitement dosés pour nous offrir un space rock psyché «éclectique» de la meilleure nébuleuse. Des envolées instrumentales stellaires secondées par une rythmique qui arrache («Void of Wasterland»), des riffs Hillage pour «Windy Day» et, réticulien, on y trouve même des relents de Peter Green dans un blues hybride surprenant («Model Farm blues»). «Square Peg in a Round Hole» revisite les ambiances de «It’s the Business of the future to be dangerous» ou d’«Electric Teepee», deux albums incontournables pour leurs moods particulièrement spatiosphériques appuyés par une rythmique assassine. «Lockdown (keep calm)» est carrément tueur comme «Repel Attract» aux accents vocaux Rob Halford! Oserais-je même dire que ce line up en «triumvirat» de Hawkwind peut se montrer meilleur que l’initial? Mais, au fait, d’où vient ce titre bizarre, «Carnivorous»? Simplement l’anagramme de Coronavirus. Je serais tenté d’affirmer que le confinement est propice aux chefs-d’œuvre, dont acte! Je vous offre le virus en prime dans le lien ci-dessous, mettez votre masque si vous voulez mais ne couvrez pas les oreilles.
Clavius Reticulus
Album non disponible sur bandcamp.