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01/01/2021
Kimura
Hybris
folk-rock/rock progressif – 48’45 – France ‘20
Kimura s’est créé en 2007 sous l’impulsion de Ludovic Roux. Jusqu’alors, le groupe ne faisait que des reprises. En 2013, soit après six ans d’aventures scéniques et autres péripéties multiples, un premier opus voit le jour, «Aleryon» sort sous l’impulsion de son leader Ludovic Roux et de la chanteuse Caroline Varlet. Le disque sera joué de nombreuses fois sur scène mais Kimura sous cette forme ne va pas durer longtemps. Il faut attendre 2016 pour que L. Roux décide de reformer le groupe avec le concours d’une chanteuse lyrique, Magali Le Bras, issue du conservatoire. Le Moyen Âge et les univers fantasmagoriques entre réalités du passé et heroic-fantasy vont animer la nouvelle saga musicale du second album, paru en septembre 2020. On pourrait croire Kimura breton, il n’en est rien, même si l’orientation celtisante prise par le groupe peut le faire croire. Kimura semble venir de Liancourt dans… l’Oise! De toute évidence, à l’écoute de «Hybris», on sent la maturité et le talent. Il n’y a pas d’autre nom pour signifier la véritable grâce qui anime le chant magnifique de Magali Le Bras. Pleins et déliés sans effusions démonstratives servent un progressif magistral, empreint de magie. Les neuf titres chantés en français font souffler le vent venu de la côte, arrachant au sable et aux rochers marins une effervescence venue de la mer du Nord. Si je vous dis qu’aucun titre n’est à mettre en exergue plus qu’un autre, ce n’est pas par excès de fainéantise littéraire mais surtout parce que l’album forme un véritable tout! On se sent porté, voire transporté tout au long des plus de 48 minutes que dure ce voyage aux frontières des terres et de la mer. Grande-Bretagne mythique, avant que les corps ne m’usent, Bretagne légendaire, brumes et effluves maritimes viennent envelopper une musique qu’on dirait composée par de vieux routiers de la scène prog’. Tout tombe à point ici, tout est juste, tout est bon, les compositions sont d’un niveau rarement atteint pour un jeune groupe. La voix de Magali Le Bras est d’une beauté renversante. Avons-nous notre Iona français? Mais ne parler que de la chanteuse serait faire injure au talent de Ludovic Roux qui a su composer une œuvre qui mérite d’être connue et reconnue au-delà des cercles progressifs. Surtout que presque tous les titres sont de véritables ‘hits’ comme on disait à une autre époque. Pas un, à part «L’homme sans nom», ne dépasse plus de six minutes et, cependant, il reste délicat d’en extraire un seul. Comme je le disais, l’album s’écoute d’une traite comme un véritable disque de rock progressif qui décrit une histoire à force de textes cinématiques. À ce sujet, Magali en a écrit sept et Ludovic les deux autres. Quelle alchimie entre musique et voix… Je suggère dans mon petit coin à Alan Simon, friand de talents musicaux et vocaux de jeter une oreille sur Kimura, je serais curieux d’avoir son avis sur cet album, ceci en aparté. Le groupe devrait partir en tournée en 2021 si ce satané virus nous fout la paix. Je conseille fortement d’aller les voir car la surprise risque d’être de taille… Peu souvent, ce genre musical n’a été aussi bien tourné et composé depuis belle lurette. À écouter et réécouter au casque sous un chêne centenaire, non loin des remparts d’un château en ruines, pas trop loin des dernières vagues de la côte. Quel son, quelle qualité, quel album, quel groupe!!!
Commode
Album non disponible sur bandcamp.
02/01/2021
The Backstage
Isolation
funk jazz/fusion jazz/acid jazz – 54’52 – Angleterre / Suède ‘20
Trois virtuoses s’ennuient pendant l’année Covid. Deux d’entre eux, acolytes de Steve Hackett, appellent un troisième larron pour finaliser quelques «jams» et faire – pourquoi pas? – un album. Un album de quoi? De jazz fusion avec sérieuses tendances acid jazz et funk…
Qui sont-ils? Craig Blundell, batteur anglais 4x4 qui a déjà joué avec Dieu et le monde, est derrière les fûts, et Rob Townsend, grosse pointure du sax british, qui a joué avec rien moins que Eddie Henderson ou Sam Rivers en jazz, et Rick Wakeman, Bill Bruford en rock…
Bon, on est dans la haute voltige et nos deux lascars font appel à rien moins que le monstre de la basse, Jonas Reingold, de Malmö, aux multiples projets. Pour n’en citer qu’un, le Sweden Bass Orchestra, ensemble de cinq basses plus une batterie avec comme guest rien moins que Monsieur Nirls-Henning Orsted Pedersen himself. À part cela, Jonas a joué avec les Flower Kings, Kaipa, The Tangent, etc.
Qu’est-ce qu'il vous faut de plus comme carte de visite?
Et la musique, me direz-vous? C’est très simple: vous vous installez le plus confortablement possible, faites tout pour ne pas être dérangé et mettez un volume plus que raisonnable. Attachez les ceintures et bon voyage… Car ce n’est pas tous les jours que des musiciens d’une telle envergure se «laissent aller» à leur fantaisie qui – il faut bien le reconnaître – n’est pas très limitée par la technique… On n’est pas non plus dans l’esbroufe virtuose qui fait bâiller d’ennui après quelques minutes…
Bon voyage…. Avec des titres évocateurs en clin d'œil comme par exemple le morceau d’ouverture, «Some Skunk Blues», allusion au fameux morceau des Brecker Bros, «Some Skunk Funk», que tout musicien de funk qui se respecte se doit de jouer… Vous trouverez aussi «All the Things You Were» (!!!) et on termine avec un «Covid Nights», en co-composition avec Steve Hackett…
Lucius Venturini
Album non disponible sur bandcamp.
03/01/2021
Gösta Berlings Saga
Konkret Musik
rock progressif – 43’17 – Suède ’20
On connaît Gösta Berlings Saga pour sa musique instrumentale aux ambiances denses, sombres et cinématiques, inspirée à ses débuts par les froids fjords nordiques et les Suédois Hansson & Karlsson, dont le jazz fusion orgue / batterie est parfois vu comme un des précurseurs du rock progressif. Le duo David Lundberg / Alexander Skepp (claviers / batterie) est aujourd’hui quintet et livre son sixième album studio qui, nonobstant son titre, n’emprunte en rien à la musique concrète développée par Pierre Schaeffer, mais laisse plus de place que précédemment aux sons synthétiques, choix artistique du groupe, renforcé par les vieilles machines aux sons étranges du producteur Daniel Fagerström. Moins épiques, plus courts et plus nombreux, les 12 titres explorent des voies plus variées: la lourdeur krauto-punk du morceau titulaire semble avoir peu d’accointances avec le groove de «Släpad», le vacillant «A Fucking Good Man» ou le tendre «Instrument VI» – même si, au total, la monotonie propre aux albums instrumentaux se fait parfois sentir.
Auguste
https://gostaberlingssaga.bandcamp.com/merch/konkret-musik-cd
https://www.youtube.com/watch?v=VSpt7sU4T2g&feature=youtu.be
04/01/2021
Jargon
The Fading Thought
rock progressif/néoclassique – 49’35 – Grèce ‘20
Ce premier album solo de John Kosmidis (alias Jargon), chanteur et leader du groupe grec Verbal Delirium, est pour moi une agréable découverte.
Jargon y développe, au piano, quelques titres à consonance classico-cinématographique, à la composition très inspirée. Le piano est vite rejoint par un quatuor à cordes, histoire de donner plus d’épaisseur et de musicalité aux arrangements.
Titres acoustiques alternent avec d’autres à l’allure davantage rock prog quand la guitare (Nikitas Kissonas) et la batterie (Wil Bow) entrent en scène à leur tour.
Au fil de l'album, on monte progressivement dans l’émotion et la puissance avec le titre charnière qu’est «The Last Temptation». On flirte parfois avec le théâtral, mais Jargon évite soigneusement le travers d’effets surjoués.
On notera une production très soignée, l’excellent travail sur la voix dans «How Can I?» – entre autres –, ainsi qu’un magnifique duo chant et guitare sur «Time Is Running Out».
En point d’orgue, le superbe «Windows To The World» n’est pas sans rappeler «Animals» d’un certain… Muse.
Un album reposant, très varié. Subtil mélange de classique et de prog où tout semble harmonieux, frais et limpide comme l’eau d’une source.
Vivestido
https://jargonvd.bandcamp.com/album/the-fading-thought
05/01/2021
Katatonia
Dead Air
metal progressif – 87’55 – Suède ‘20
Les Suédois de Katatonia, comme nombre de leurs collègues, se languissaient de ne pouvoir accorder des concerts à leurs nombreux fans durant ces longues périodes de confinement.
Pour mémoire, le groupe a été formé en 1991 par Jonas Renkse et Anders Nyström. Ils furent d’abord connus dans le monde du black et du doom, pour enrichir leur palette en s’orientant vers le metal progressif et atmosphérique. En ce mois de mai 2020, sortait leur onzième album, «City Burials», qui a enchanté leurs fans et même plus.
N’ayant pu courir le monde pour défendre et présenter leur bébé, le groupe, frustré, décida de réaliser un show complet de leurs meilleurs titres (sélectionnés par leurs plus fervents admirateurs), le tout en streaming. C’est le neuf mai dernier, au Studio Grondahl, à Stockholm, que cette entreprise, filmée par Blackbox Video, eut lieu. En voici le résultat époustouflant (tenant compte qu’aucun public n’était présent physiquement). Notons également que, parmi les vingt compositions interprétées, trois sont issues de leur dernier album, «The Winter of Our Passing» (titre prémonitoire?), «Lacquer» et «Behind the Blood» qui clôt cette session.
L’exécution est évidemment excellente, malgré l’absence de public en présentiel (terme très à la mode ces temps-ci), mais un timide thank you gratifie les personnes regardant le show sur internet.
Par rapport à leurs confrères, la sortie physique du concert, constitue indéniablement un plus enviable…
N’hésitez donc pas à vous pencher sur l’écoute et l’achat de ce support qui vous permettra de combler vos envies de concert quelque peu chamboulées, d’autant que notre Premier ministre, en Belgique, déconseille de prendre des vacances en 2021. Alors, en ce qui concerne les concerts et les festivals d’été, je n’ose imaginer ce qu’il adviendra…
Tibère
https://peaceville.bandcamp.com/album/dead-air
06/01/2021
The New Empire
Second Lifetime
rock progressif et cover – 72’35 – USA ‘20
Il y eut un premier Empire, groupe formé par Peter Banks, sorti de Yes dans les '70 et dont les disques, faute de distributeurs, ne sont sortis que 20 ans plus tard. 20 ans de plus, et voici que Mark Murdock qui était le batteur d’Empire, ainsi que Marisol Koss (qui a chanté sur le LP tribute Yes «Yesterday and Today») et Fernando Perdomo (guitariste connu pour ses nombreux albums originaux et des tributes Yes et Crimson) décident de former un nouvel Empire.
Ils en gardent la typo sur la sobre pochette de ce 1er album, et proposent trois reprises d'Empire (pistes 8, 9 et 10) et une de Yes (piste 11), plus 10 autres titres originaux. Comme cette ouverture: «The New Empire Overture» (3:05). Une première piste avec une basse lourde et un chant qui donne envie de se lever et de rejoindre la chorale, avec déjà une guitare typée Yes, c'est efficace et si concis qu'on s'étonne que le morceau s'achève déjà pour passer à une piste plus longue, plus pop, très enlevée. Mais le soufflé retombe un peu.
«Knights of the New Empire». Instrumental qui démarre sur les chapeaux de roue, passe par Yes, Wishbone et jazz en moins de 4 min. Waouh!
«Slow Burn Rising» (5:12). Tempo plus lent et suspendu avant de glisser vers une belle balllade (oui avec 3 "L" car c'est une promenade en chantant) qui finit par s'autodétruire à la façon de Todd Rundgren.
«Better Not To» (4:12). Voix douce et rythmique «flangé», une nouvelle chanson tout aussi efficace et addictive. Avec un sitar qui parfois nous emmène vers le punk de «Quadrophenia».
Viennent ensuite les 3 reprises d'Empire. Les morceaux dépassent tous les 8 min, mais sont un peu plus concis et consistants que les originaux.
«Out of our hands» (8:48). À la façon Yes (son «Relayer»), dans une chanson rythmée qui rappelle parfois les voix en chœur de Yes, et dans d'autres parties plutôt du Camel, pour une apothéose magnifiée par la voix de Marisol Koss et la guitare de Perdomo.
«Foundationt» (8:10). Au chant lead Sydney Foxx (ex-Empire, ex-Mme Peter Banks) qui démarre ce qui n'aurait pu être qu'une chanson de plus, mais à mi-chemin la route s'élève avec une fin d'ascension un peu longue.
«Sky at Night» (8:48). Guitare classique et clavecin pour nous hameçonner. Puis un développement tout en douceur «Calmel» avant la satellisation. (Teasing: dans la version d'Empire, il y a Phil Collins à la batterie et au chant!!!) Cela clôt cet excellent flashback Empire, pour en ouvrir un autre. «Looking around»: très bon pèlerinage au temple Yes, un cover dont le mixage même tente un son début '70. Frais!
«Faraway friend». Très beau point final que cet hommage à Peter Banks, avec une guitare slide déchirante à souhait et un chant expressif tantôt murmuré tantôt puissant. Le tout faisant un album impérial, avec quelques pistes moyennes, mais avec de vrais très bons morceaux de prog à l’intérieur dedans 😉
Cicéron 3.14
Un seul titre sur bandcamp, le sublime Faraway Friend (voir Spotify pour entendre tout l’album)
07/01/2021
Simon Collins
Becoming Human
rock progressif/rock – 59’28 – UK ‘20
Premier album depuis 2013 qui vit naître l’extraordinaire «Dimensionaut» de Sound of Contact, où Simon conjuguait son talent à celui de Dave Kerzner, et premier solo depuis «U-Catastrophe» sorti en 2008. Le digne fils de Phil nous aura fait patienter! S’il reste mélodiquement pareil à lui-même, il commet ici un album sans surprises notoires. Il faut avouer qu’il était difficile de surpasser sa superbe collaboration avec Dave. Ce nouveau bébé reste un très bon album mais il y manque la magnificence quasi symphonique de Sound of Contact et ces montées en puissance telles qu’en offrait «Möbius Slip», long de 19 minutes, qui clôturait la galette il y a sept ans déjà. «Becoming Human» flatte pourtant notre oreille à chaque nouvelle écoute. C’est un album qui doit décanter pour ne pas souffrir d’inévitables comparaisons. La dernière plage («Dead Ends»), cette fois encore, est d’une totale majesté et comble pleinement les attentes d’un amateur de constructions mélodiques purement progressives. En fermant les yeux, on pourrait y «voir» Peter Gabriel. Excellent batteur, comme son papa, on reconnaît une fois de plus son jeu précis, rapide et construit (similitude de jeu flagrante dans «Thoughts become matter»). Quelques moments atmosphériques louchent du côté e-music, le temps d’une vapeur onirique, avant de reprendre avec énergie («The Universe Inside of me»). «No Love» et «So Real» ont un côté U2, dans le jeu de guitare surtout. Et puis il y a ce «40 Years», au parfum de Genèse dernière époque qui vaut son prog pesant d’or. Le timbre de voix de Simon est fort semblable à celui de son père mais là s’arrête toute comparaison musicale. Moins pêchu que «U-Catastrophe» et moins flamboyant que «Dimensionaut», l’opus se laisse écouter avec un réel plaisir mais il faut avouer que nous attendons impatiemment un petit frère de Sound of Contact.
Clavius Reticulus
Album non disponible sur bandcamp.
08/01/2021
Lady Ahnabel
Vertuose
métal progressif rêveur – 46’55 – France ‘20
C’est un véritable coup de cœur qui m’a amené à chroniquer ce premier disque de Lady Ahnabel, rondelle gravée à compte d’auteur comme on dit en littérature. Tombé par hasard sur un titre du groupe, l’envie m'a pris d’en savoir plus. D’abord, Lady Ahnabel est en fait juste un duo français, Cécile alias Cweety Cweety et Luc alias Luke Skywam. Ils se sont occupés de tout, ce qui inclut bien entendu la musique, mais aussi la pochette et encore le clip réalisé pour «Dark Matter», sorte de morceau à la Rammstein chanté en français – mais je reviendrai plus loin sur la prolixité musicale des deux compères. L’amateurisme est ici gommé par une véritable volonté de bien faire et c’est réussi. Mais, avant toute chose, je dois vous instruire de l’émoi procuré par un titre en particulier, «Anne (ou la sorcière née de l’aube du temps)», celui qui m’a fait connaître Lady Ahnabel. Toute l’âme en gestation du duo est exposée ici. Parti d’une intro douce et pastorale chantée par Cweety, le morceau explose dans un hard rock typique des eighties, la guitare de Luke et les claviers supportent la jolie voix de Cweety et là, bingo, ça y est, je pensais à un groupe et j’ai enfin trouvé: le cher défunt Arrakeen est ressuscité par la grâce de ce morceau de plus de 8 minutes! D’autant plus que se niche un pont riche en harmonies progressives du plus bel effet en son centre. La guitare se veut lyrique et porteuse d’une ambiance tour à tour élégiaque et sulfureuse. Le joyau est là et la juste alternance entre ce prog’ chanté en français (avec un écho perceptible et charmant) et une guitare ‘Iron Maidenienne’. «Anne…» s’éteint avec le chant plaintif de Cweety. La perle de l’album! Sinon, Lady Ahnabel a les défauts de sa jeunesse cependant effacés par un souci de composition et des textes solides. Il sera difficile de classer ce nouveau duo. Certains seront tentés de les mettre dans le metal sympho ‘with female voice’ mais trop réducteur, il y a du panache à croiser ce prog metal aux guitares en rang serré au prog’ de l’école progressive française à textes enchantés. Il faut aussi noter la qualité du jeu de Luke Skywam, proche d’un Malmsteen ou d’un Satriani surtout dans la reprise instrumentale assez gonflée d’un morceau classique que je vous laisserai découvrir, «Overture K492». Mais la virtuosité n’est qu’un aspect du jeu de Luke car on décèle parfois (souvent même) des accents à la Ocean ou Warning (groupes de hard français qui savaient jouer et composer) sans négliger Iron Maiden of course, influence évidente. Des titres comme «Innocent» ou «Mauvaise élève» en sont des exemples probants. «Définition» aussi qui développe la fibre prog’ avec le chant élégant de Cweety qui sait s’adapter à tous les genres avec une belle maestria. Mais Lady Ahnabel a certainement voulu nous démontrer tout le talent qui les anime en terminant avec une sorte de blues-country teinté de gospel (!) «Hey frère!» Là aussi, Cweety change sa voix d’une façon confondante avec le concours de son compère qui n’a rien chanté jusque là: Luke intervient en appui masculin sur ce boogie en demi-tempo, qui tombe incongru à la fin du disque, mais comme c’est très bien fait, avec le talent d’un jeune Lynyrd Skynyrd carrément, ne mégotons pas! L’avenir appartient à Lady Ahnabel qui peut évoluer à tous les postes, avec une préférence pour le prog métal. Mais eux-mêmes savent-ils où leur amour du rock peut les porter?
Commode
Album non disponible sur bandcamp.
https://www.youtube.com/watch?v=cK8Qmd1PWm0&feature=youtu.be
09/01/2021
Green Carnation
Leaves Of Yesteryear
metal progressif – 44’37 – Norvège ‘20
Il s’agit ici du 5e album de ce groupe qui aime varier les genres, faisant de sa musique une expérience d’alchimie sonore.
Cela démarre avec la plage titulaire, bien trempée dans le pur metal prog avec un bon riff d’attaque qui donne le ton sur la teneur métallique de l’album. Mais des passages atmosphériques floydiens, notamment au niveau du son des nappes de claviers, alternent avec ces accords d’acier. Le ton est résolument sombre, lors des passages plus heavy, les tonalités froides et le chant mélancolique évoquent Paradise Lost en version prog.
Du même tonneau s’ensuit «Sentinels», toujours dans un canevas progressif mais avec une instrumentation davantage proche du heavy metal avec un côté épique dans les refrains et des envolées plus soutenues avec des chœurs d’outre-tombe. La section rythmique à géométrie variable maintient de façon permanente la filiation avec le prog. Tout au long de l’album le chant est en mode clair.
Sur plus de 15 minutes, «My Dark Reflections Of Life And Death» est en quelque sorte la pièce maîtresse de l’album, avec sa longue intro planante brumeuse, qui ensuite monte crescendo en intensité, l’ensemble poursuit sa route vers des cieux obscurs aux nuages chargés de guitares métalliques, poussés par des vents de notes synthétiques aux tonalités vintage, le vol se poursuit dans une succession d’ambiances étranges. On tient là le titre phare de l’album avec un côté Doom mêlé au prog, quelque part entre My Dying Bride, Anathema et Pink Floyd.
Quand débute «Hounds», on pense aux moments épurés des compositions d’Opeth; le chant se fait doux, davantage mélodieux. Le climat de cette intro calme et tranché par une guitare aux riffs aiguisés, toujours comme chez Opeth, quand la tempête alterne aux accalmies et évolue à nouveau dans le style progressif avec, notamment dans ce cas-ci, une basse bien présente, fil conducteur sur lequel viennent s’articuler les autres instruments, les claviers aux sons seventies et des guitares trempées dans le hard.
La conclusion de cet opus s’effectue avec une reprise d’un des titres les plus calmes de Black Sabbath, «Solitude». Green Carnation reproduit l’impression de candeur qui émane de cette composition qui cadre bien avec l’ensemble de ce très bon album dont le seul défaut est sa courte durée; on aimerait en effet que ce voyage plutôt agréable soit prolongé.
Orcus
https://greencarnationsom.bandcamp.com/album/leaves-of-yesteryear
10/01/2021
Tigran Hamasyan
The Call Within
jazz fusion – 47’36 – Arménie ’20
On peut rester pantois devant la virulence fondatrice que dégage le jeu du pianiste arménien: altier et vite impétueux dans «Levitation 21», quiet puis vif comme un torrent dans «Our Film», part intégrante du rythme au même titre que la basse électrique du New Yorkais Evan Marien et la batterie du Suisse Arthur Hnatek dans «Ara Resurrected», vivant tel le tapis de feuilles mortes au vent d’automne dans «Old Maps» ou tonitruant dans «New Maps». Mais pas indifférent. À 33 ans (il commence le piano à 3 ans, les concerts à 11 ans, les disques à 17), Tigran Hamasyan explore, en les mélangeant, la réalité historique et le monde imaginaire; il fouille dans le passé, le sien, celui de chez lui, celui des légendes, des histories qu’on se raconte, de son pays; il parle de ces instants de création, où inconscience et conscience fusionnent. Une fusion telle celle de ses inspirations: sa musique est jazz, mais vient des mondes de Mahavishnu Orchestra, d’Emerson, Lake and Palmer, un kaléidoscope sonore – avec des touches progressives, comme dans «Vortex», augmenté de la guitare du Nigérian Tosin Abasi.
Auguste
https://tigranhamasyan.bandcamp.com/album/the-call-within
https://www.youtube.com/watch?v=9jtwlh75sJQ&feature=youtu.be
11/01/2021
Tammatoys
Conflicts
prog-rock/métal-planant – 44’18 – Norvège ‘20
Tammatoys est un groupe de rock métal alternatif ambiant, progressif de fond, formé en 99. Un son qui veut rappeler les
flamants roses, Porcupine Tree, Genesis, Yes, Rush ou The Church pour le côté rock plus sombre, un zeste de pop pour donner plus de consistance aux titres; Tammatoys c’est Kjetil Bergseth (voix, claviers et guitares acoustiques) et Øystein Utby (guitare basse) qui aiment le prog sous toutes ses formes et nous proposent cet album accompagnés de 4 guitaristes. Allons voir ce qu’il en ressort.
«I Will Follow». Entrée à la Pink Floyd rien que pour 3 notes qui ont fait le tour du monde, rythme lent et aérien, quelques notes aussi qui me replongent dans le dernier Coma Rossi, un peu d’OMD ou d’Ultravox dans le synthé, guitare cristalline ciselée, air solennel pour capter le son et les réminiscences, bon comme intro.
«Downfall» est le 1er des morceaux de plus de 10 min pour un titre plus nerveux, métal prog dépressif d’un côté, ambiant de l’autre et mélodique du 3e côté! Titre en deux parties avec refrain-couplet puis dérivation plus symphonic-cold; guitare expressive pour un solo, deux puis trois à la suite tout en montée, bref un monument prog 2020 qui ne paye pas de mine. «Politics» sur un début de Vangelis pour la voix, puis «The Wall», juste l’intro puisque ça part sur du bon rock alternatif survitaminé; un rythme pop effréné, un tiroir prog avec synthé sombre puis éclairé, bien mais sans grand développement progressiste. Pour l’instant 3 morceaux, 3 ambiances différentes!
La 2e face commence sur «The Conflict (part 1)» qui fait fondre dès les premières notes: de tout il y a dedans, tiens je commence à parler padawan là, bref de l’ambiant, des bruitages, tout pour nous affoler agréablement; des ambiances bien calées, des montées, des climats pop new wave, une voix à la Brian Ferry, l’atmosphère passe sur un riff nerveux métal, son oriental, dérive progressiste dans le terme, percussions qui s’y mettent, le solo de guitare jouissif; à mi-parcours vous rentrez bien dans «The Wall», vous fermez les yeux, quelques instants plus tard, c’est Borsalino qui débarque, ça monte puis vous allez rêver de «Kashmir», ça tape sur les fûts, ça gratte sur les cordes, immense juste et novateur surtout. «Time» vient conclure avec un titre tout en douceur, une ballade à la limite du spleen, une ligne atmosphérique mélancolique mais fraîche, une voix à la Nicolas Dewez de Light Damage ou à la Midge Ure qui rappelle que la new wave est toujours un vivier de sons progressifs; un morceau qui monte doucement pour mieux se remettre, un titre bien placé qui procure un moment de sérénité, d’apaisement jusqu’à la fin avec encore ces chiffres lancés.
Tammatoys a trouvé le son du XXIe siècle, celui qui va chercher dans plein de résonances prog, des dinos en passant par la new wave et le métal, pour en sortir un son innovant, actuel et structuré. Finalement ces 16 ans leur auront permis de soutirer la substantifique moelle de leurs cerveaux érudits. Je sors la phrase bateau mais que je valide fortement: immense, à découvrir, dans mes meilleurs à ce moment de l’année.
Brutus
https://tammatoys.bandcamp.com/album/conflicts
https://www.youtube.com/watch?v=eNFw9izYAjw&feature=youtu.be
12/01/2021
NERVOSA
Wasteland
pop-rock progressif – 33’02 – Angleterre ‘20
Vous dire que cet album ou EP (33 minutes) des Britanniques est bon ou mauvais n’est pas le propos ici, je n’ai pas une once de talent musical avec un instrument pour me le permettre. C’est juste que musicalement c’est pop, de la bonne mais c’est pop, SAUF si vous allez au terme, par exemple, du premier titre «Chevron», vous découvrirez un solo de six cordes à tomber par terre qui vous fera penser à Porcupine Tree. Et si vous laissez débuter le second morceau «The Wasteland Part 1», une nouvelle claque de gratte vous plongera au meilleur des soli de Gilmour… Bon après, le chant, les mélodies, c’est rock mais pas vraiment prog.
Notons cependant la performance vocale sur le titre «Countrycore» de Bethany Wade qui est tout simplement enivrante. Après…
Un enregistrement donc agréable qui sera parfait en voiture ou pour une parenthèse plaisante entre l’écoute d’un King Crimson et d’un Van der Graaf Generator…
À vous de juger…, selon votre humeur.
Tiro
https://nervosaband.co.uk/album/wasteland
13/01/2021
The Samurai of Prog
Beyond the Wardrobe
rock progressif – 55’51 – Multinational ‘20
Quand j'avais chroniqué l'album de Bernard & Pörsti, je m'étais étonné de l'abondance de la production de ce duo, qui avec S. Unruh forment, parfois, le trio The Samouraï of Prog (SoP), d'autres fois un quatuor dans Guildmaster (avec Pacha et Scherpenzel). Le tout publiant 5 albums en 2020, et le dernier, celui-ci, est sorti en novembre, il n'est donc pas impossible qu'un autre arrive pour Noël 😉. Mais parce que SoP est une collaboration avec un grand nombre de musiciens invités qui y apportent leurs compositions, le résultat est toujours intéressant. Le teaser (voir lien plus bas) n'effleure que légèrement la qualité de cet album. Je me suis amusé à n'écouter que les 10 premières secondes de chacune des 9 pistes qui le composent. Pas une intro qui ne donne envie d'écouter la suite! Avec «Another Time» on se croirait dans un bar de jazz, c'est chaud et enveloppant, basse et batterie soyeuses, sax caressant, Rhodes aérien, et la voix suave de Steve Unruh... Avant que sa guitare ne vienne tout emporter à mi-morceau pour de luxuriantes envolées, flûte, saxo. Puis la guitare acoustique vient tout apaiser, la tempête s'éloigne, nous rentrons au port pour une accalmie... De courte durée, car nous sommes immédiatement saisis, dans cette 2e piste «Dear Amadeus», par un fortissimo grandiose: celle d'un grand orgue et de chœurs pour un puissant maelstrom de 9' entre baroque et prog, composé par Oliviero Lacagnina (Latte e Miele). «King of Spades» nous propose une belle balade avec un pont au violon et Rhodes très groovy. «Forest Rondo»: un peu des ruptures de Gentle Giant, de la pulsation de Jethro Tull et de la légèreté de M. Oldfield rien que dans les 60 premières secondes. Ensuite c'est... foisonnant! Une Caravan passe aussi et le thème ondule. «Jester's dance» démarre avec des cordes assez classiques, mais quand le piano s'en mêle on sent que cela ne va pas rester comme cela longtemps! Et la guitare électrique ou le violon solo (tel le bouffon/jester) vont et viennent, troublant la pièce de cet instrumental de 7'. «Kabane»: une jolie chanson… en japonais! Quand on dit que c'est international!!! Avec ses belles ruptures dont un solo de guitare sèche, on ne voit pas passer les 7'. «Marigold»: une courte (moins de 3') gigue introduite à la flûte, légère et rafraîchissante. «Brandenburg gates»: facture classique pour l'intro, puis une rupture jazzy à 2' et le classicisme reprend sa marche dans ce morceau souriant et léger jusqu'au crescendo final un peu plus oppressant. «Washing the clouds»: ambiance noir et blanc, nostalgique, un peu Loreena McKennitt. Un piano, puis la voix de la compositrice, Elisa Montaldo (Il tempio delle Clessidre), cristalline, émouvante qui monte dans les nues pour les purifier et y mettre la couleur d'un arc-en-ciel. Puis la batterie entre en jeu, introduisant un violon sur le thème, remplacé par un long solo de guitare magnifique pour nous emmener trop vite à la fin de cette ÉNORME PERLE.
Cet album est juste indispensable!
P.-S. J'ai pris contact avec Elisa Montaldo afin de comprendre un peu mieux comment fonctionne la «machine» SoP avec qui elle a déjà collaboré précédemment pour d'autres morceaux, depuis une première participation d'Il tempio delle Clessidre dans l'album «Decameron». En fait SoP respecte totalement l'idée originale et l’arrangement du compositeur et lui applique une signature SoP avec ses musiciens à l'enregistrement. Bien sûr tout cela en mode virtuel, mais c'est fluide car ils ont l'habitude de procéder ainsi. Ici, Elisa préparait son second album solo, quand SoP lui a demandé si elle voulait participer à un album en fournissant une composition originale. CQFD!
Donc attendons maintenant la publication de son prochain album sur lequel figurera aussi «Washing the Cloud», dans sa version... originale! Sans doute l'objet d'une prochaine chronique...
Cicéron 3.14
Album non disponible sur bandcamp.
14/01/2021
The Reticent
The Oubliette
metal prog atmosphérique – 63'48 – USA ‘20
The Reticent nous vient des USA, Charlotte en Californie du Nord, pour être précis. Ils n'en sont pas à leur coup d'essai puisque actifs depuis 2002, ils sortent leur quatrième album. En fait je devrais dire «IL» puisque le groupe est composé uniquement de Chris Hathcock (guitare, basse, claviers, batterie et percussions), qui s'entoure, en «guests» uniquement, de chanteurs, d'un soliste guitare James Nelson et d'un saxophoniste Andrew Lovett. The Reticent s'est fait connaître avec la sortie du précédent album aux USA. «On the Eve of a Goodbye» était un concept album autobiographique tragique qui racontait la veille, le jour et le lendemain du suicide de Eve l’amie d’enfance de Hathcock.
«The Oubliette» est un autre récit autobiographique émouvant. On se plonge cette fois dans la tragédie de la maladie d’Alzheimer. Les sept titres représentent sept étapes de la déchéance d'Henri jusqu'à son décès. Chaque titre est évocateur: «His Name Is Henry», «The Captive», «The Palliative Breath», «The Dream», «The Nightmare», «The Oubliette» et enfin « _______». S'il y a bien une chose que The Reticent réussit tout au long de cet album c'est de faire ressentir la douleur, la mélancolie, l'angoisse, la tristesse et la rage, que ce soit musicalement ou par la prestation parfaite des différents chanteurs: Juston Green, Amanda Caines, et Rei Haycraft. Franchement il y a de tout, on passe d'un rock atmosphérique hyper mélancolique aux chants doux et susurrés, à des parties jazzy tout comme du métal prog puissant, allant même jusqu'aux voix gutturales. On passe de titres floydiens à des passages de pur death métal, notamment sur le titre «The nightmare». Parmi les différentes influences j'y vois: Pink Floyd, Opeth, Nevermore, Anathema, Ayreon, Marillion, Evergrey. Un vrai mélange mais à tout moment cet album tient la route et on n'est jamais dans la cacophonie. On ne peut pas rester insensible à toutes ces émotions et à cette originalité. Que dire de plus sinon que le son et la production sont parfaits et qu'il faut absolument que vous vous plongiez dans la discographie de The Reticent...
Vespasien
https://thereticent.bandcamp.com/album/the-oubliette
15/01/2021
Great Wide Nothing
Hymns for Hungry Spirits, Vol. I
neo progressif – 41’28 – USA ‘20
Deuxième album pour Great Wide Nothing, groupe créé en 2017 à Atlanta par Daniel Graham (basse, guitare, chant), Dylan Porper (claviers) et Jeff Matthews (batterie). Remarquez que leur première livraison, «The View From Olympus», avait été chroniquée en ces pages le 06/07/2019 dernier. Comme vous pouvez vous en douter, cet album est la première partie d’un cycle centré sur la perte et le désir, ainsi que le processus permettant de trouver la paix intérieure.
«To Find the Light, Part 1» (la suite au prochain opus, je suppose), ouvre cette œuvre non sans une certaine emphase (les claviers!) pour se poursuivre avec un neo prog lorgnant du côté de Marillion par exemple. Les instrumentistes se montrent d’un très bon niveau. Ce n’est qu’après trois minutes que le chant de Daniel se met en place: un titre bien agréable en somme. La guitare nous offre des riffs appropriés et voici que déboule l’enlevé «Superhero». Les claviers prennent le dessus pour «Promised Land». Ambiance complètement différente pour «Hymn for a Hungry Spirit» puisque je ne peux m’empêcher d’y voir des références à Archive et son «Again», ce qui, pour moi, s’avère être un sérieux compliment. Les chœurs s’y font enchanteurs. «Stars Apart» requiert toute votre attention car il s’agit de la plage la plus longue avec ses presque neuf minutes et son break inventif. «Vigil» est une ballade reposante avant l’éclat final: «The Best We Can Do is Laugh» où les parties de batterie évoquent, par certains aspects, des atmosphères jazzy. En guise de refrain, Daniel nous gratifie de ses mots «Take Car of Each Other» qui, en ces temps plus que troublés, nous rappellent à l’ordre (enfin me semble-t-il).
En définitive, «Hymns for Hungry Spirit» mérite amplement une écoute attentive.
Tibère
https://greatwidenothing.bandcamp.com/album/hymns-for-hungry-spirits-vol-i
16/01/2021
Bruno Karnel
Évaporation des voix off (live)
rock progressif – 39’00 – France ’20
L’an 1 de l’ère Covid s’est achevé et nombre d’artistes, confinés comme tous, moins essentiels que d’autres mais pas aussi dispensables que les Ehpad-sociétaires et autres décrépits mis à l’abri, qui tournent en rond-petit-patapon, tentent – c’est leur raison d’être – de créer avec cœur et bouts de ficelles, d’exister dans le noir et l’obscur, de jouer, montrer et faire entendre dans un contexte où se terrer est le mot de l’ordre. Bruno Karnel (je vous ai parlé il y a peu du très convaincant «Amra», en duo avec Frédéric Gerchambeau – on retrouve ici le capiteux «Îles espace», plausible hit alternatif), lui, a enregistré (son et image) un live-chez-lui, reprenant l’intégralité de son EP «Satellite 3 - Après-demain» de 2018, rehaussé de trois bonus – dont «En ti sólo», poème mis en musique du Péruvien César Vallejo, qui renforce la couleur parfois world de l’instrumentation. Pas de public devant les micros, un décor statique, la présence de Julien Waghon à la basse et de Sonia au chant et au cajón (cette caisse de résonance parallélépipédique, au son de caisse claire, d’origine péruvienne, sur laquelle on s’assied pour en frapper la face frontale), quelques backing tracks (quand le dispositif réduit l’exige), aux mains de Bruno, qui chante, tient la guitare et le charango (ce petit instrument à cordes pincées des peuples autochtones des Andes), une production live-en-studio (et donc imparfaite), la chose est intime et d’autant plus touchante.
Auguste
https://brunokarnel.bandcamp.com/
17/01/2021
Ulver
Flowers of Evil
rock/électro/wave – 37’52 – Norvège ‘20
Sur la pochette, une abjecte image de vengeance, d’exutoire post-traumatique comme en connurent des gens comme vous et moi, écumant de haine, pris d’une folie noire au sortir de l’horreur d’une barbarie imposée. Première impression violente.
Seconde impression sous forme de question: y a-t-il un vie après le black metal?
Ulver, formation norvégienne, prophétesse en son pays, passée subrepticement de Winterfell à Arendelle (excepté quelques bizarreries, quelques hésitations, quelques pas en arrière...), ne vous dira pas le contraire. Des “grands méchants” subsiste aujourd’hui le fils adoptif de Gahan et Bowie qui, digne, se dandine sur une wave minimaliste, puis envoie une litanie profonde cherchant constamment un chemin mélodique de traverse. Punaise, voilà qui est excellent me dis-je. Si l’album complet est cuit dans le même moule, l’orgasme auriculaire arrivera à la troisième bouchée!
Textes succincts, voire lacunaires, pointillés tels des toiles impressionnistes, lisibles avec la distance nécessaire. Un fond teinté de préoccupations métas suscitées par le réalisme cru de l’image aperçue se dévoile alors. La nature humaine décryptée sur une électro sèche et dépouillée. Références littéraires (K. Dick, Baudelaire...), soupçon de Kraut, on peut penser aussi à ces quelques stars eighties amorçant leurs mises à jour vers la décennie Love Parade, et, malgré l’omniprésence électronique, la batterie garde un côté très organique dans sa mise en place. Loin de l'épilepsie provoquée par des ouvrages similaires aux beats répétitifs, aux motifs rabâchés, l’arrangement est ici truffé de bonnes surprises. Une sonorité étrange, un rythme complexe jouant le trublion, des chœurs, ou un soudain basculement guimauve-easy listening... Tous les ingrédients sont là pour maintenir l'étonnement. Quand bien même eussiez-vous sombré étourdiment en une écoute superficielle, un sursaut soudain ramènerait votre attention parmi les claquements subtils qui peuplent cette belle construction. Lors de moments plus sombres, j’ai osé certains rapprochements avec le travail de formations gothiques, dark wave. Je pensais notamment à BlutEngel, mais les exemples sont légion si l’on creuse cette veine obscure. Rien toutefois de précisément comparable à la composition soignée de ce bouquet maléfique.
À l’instar d’un Moby, d’un Genesis, d’une France Gall..., Ulver est une entité métamorphique comme il me plaît de suivre le parcours. Moins dense que le précédent chef-d’œuvre «The Assassination of Julius Caesar» (l’élimination des chroniqueurs de cette rubrique n’étant pas une option!), «Flower Of Evil» s’en sort admirablement. Je doute, compte tenu de l’imposante discographie qu’ils traînent, que cette forme soit leur ultime exploration. Terminons par une phrase-choc pour l’encart du Dux Bellorum: «J’attends donc impatiemment la suite en me réécoutant encore ce petit Ulver en solitaire.»
Néron
https://ulver.bandcamp.com/album/flowers-of-evil
18/01/2021
Ange
Trianon 2020
rock progressif – 153’34 – France ‘20
Faut-il encore présenter Ange, ce groupe qui fête cette année ses cinquante années d’existence malgré le dos tourné de nombreux acteurs de la communication? Une grande tournée a été organisée afin de célébrer dignement l’événement dont le crescendo fut les deux dates (30 janvier et 1er février) au Trianon à Paris (concert spécial vu le nombre de musiciens invités présents). Il est malheureux de constater que ce périple à travers les routes de France et de Navarre a dû être annulé pour les raisons que nous connaissons tous. Néanmoins, une partie de la joyeuse équipe de Prog censor s’est retrouvée à Mouscron, le 22 février dernier, pour l’unique date belge effectivement réalisée avant que le confinement ne fasse ses effets dévastateurs. Par rapport aux dates parisiennes, le show fut nettement écourté, mais quel plaisir d’y être et de se retrouver! Pour moi, cette joie fut complète puisque Jean-Noël Coghe nous avait accordé sa présence au studio de RQC pour mon émission Prog City (ainsi que notre cher Centurion) pour nous parler de son livre «Toute une Vie d’Ange».
Mais venons-en à cet objet qui nous occupe: trois CD et deux DVD pour participer à ces shows lutéciens. Si le coffret est relativement dépouillé, quelle pléthore de matériel visuel et sonore à déguster. La formation actuelle du groupe, soit Christian Décamps (chant, guitare acoustique, claviers), Tristan Décamps (claviers, chant), Hassan Hajdi (guitares, chant), Benoît Cazzulini (batterie, percussions), Thierry Sidhoum (basse), s’est évertuée à présenter un spectacle digne de l’événement. De nombreux invités (anciens membres de la bande angélique) furent présents à cette occasion: Fabrice Bony, Chœur de Chauffe, Serge Cuenot, Caroline Crozat, Francis Décamps, Daniel Haas, Jean-Claude Potin, Hervé Rouyer et Laurent Sigrist. Jean-Michel Brézovar, malade, a dû décliner l’invitation.
Toutes les époques sont représentées dans cette sélection; c’est ainsi que l’on peut entendre des extraits de «Caricatures», «Tome VI», «Au-delà du délire», «Émile Jacotey», «Guet-apens», «Vu d’un chien», «La gare de Troyes», «Fou!», «Les larmes du Dalaï Lama», «Rêves-parties», «La voiture à eau», «Le bois travaille, même le dimanche», «Émile Jacotey résurrection Live» et «Heureux!».
La reprise de Jacques Brel («Ces gens-là») est évidemment incluse et, en finale, «Hymne à la vie» repris par tous les invités (extrait de «Par les fils de Mandrin»).
Un objet indispensable à tous ceux qui ont pu participer à ces deux dates exceptionnelles, ainsi d’ailleurs que toutes les personnes ayant pu participer aux dates non annulées de cette tournée qui va reprendre, vraisemblablement, en février 2021!
PS: désolé, je n’ai pas eu le temps de visionner les DVD avant d’écrire cette chronique, mais je vais me rattraper ultérieurement.
Tibère
Album non disponible sur bandcamp.
19/01/2021
Ellesmere
Wyrd
rock progressif vintage – 43’29 – Italie ‘20
J'avais bien aimé le second album de Ellesmere, groupe unipersonnel de Roberto Vitelli. Même si le côté pèlerinage années '70 était parfois énorme: il réussissait ainsi à y invoquer King Crimson («LTIA pt1») et Yes («Long distance runaround») dans la même minute! Voici sa troisième production.
Toujours le même style de belle pochette «heroic fantasy» due à Rodney Matthews (illustrateur de Moorcock, mais aussi batteur, parfois avec Wakeman... Olivier)!
«Challenge» (7'25). Synthé aquatique et grand piano pour l'intro de l'album, se muant en une lente exposition façon «Snow Goose» (Camel), puis l'on glisse après 2' vers une rythmique crunchy crimsonnienne, datée '70; notons le travail de fines constructions des percussions de Mathias Olsson (Änglagard). Puis différentes parties se succèdent avec seulement l'enthousiasme comme point commun, synthés puis violon, re-synthé (ceux de Bodin/ Flower Kings). Rien n'est vraiment désagréable, les sonorités sont plaisantes, le break façon ELP nous choppe bien, un second break au violon de David Cross est tout aussi joli, et l'on repart avec une rythmique plus «clean» sur des chœurs très Yes... Et après une énième digression le morceau s'achève. Beaucoup de choses proposées, je n'ai pas capté les liaisons, mais le tout est plaisant. Sur un souffle nous passons au suivant.
«The Eery manor» (6'23) démarre par la flûte errante de John Hackett, rattrapée par une rythmique qui structure ses divagations. Flûte remplacée par des synthés décalés dans un maelstrom, guitare frippienne, basse squirienne, jusqu'à une fin que n'aurait pas reniée le Pulsar de '76.
«Endeavour» (8'23). Démarrage plus civilisé encore, avec des chœurs et des arpèges noyés dans des nappes de synthés. Un texte mi-parlé, mi-chanté, posé sur un synthé, puis des onomatopées façon Yes, un orgue ELP qui martèle le thème avec, au milieu, une éclaircie de saxo par Maître David Jackson, puis une rythmique Crimson en pattern avec David J. qui envoie tout. Puis tout s'apaise pour une seconde partie de morceau qui juxtapose de belles mélodies génésiennes et des parties plus folles, des incantations... Le tout permettant d'apprécier la qualité technique de l'album au service de cette bien belle piste.
«Ajar» (8'04). On démarre avec ce qui ressemble furieusement à «Heart of sunrise» (Yes) qui fournit une trame pour tout le morceau où brodent intelligemment les synthés, le sax et des chœurs. Avec «Ajar», Ellesmere met en plein dans les milles (; -). Entre Jackson et ELP plus du Camel pour le moelleux, et toujours cette trame de Yes. Piste très réussie. Sauf pour ceux qui n'aiment pas le prog des '70 !!!
«Endless» (13'14). Entame camelienne, plus consensuelle, puis le sax de David qui sonne la félicité (car il n'est pas toujours déchirant le Jackson!). Un peu plus tard c'est vers Genesis que tirent guitare et synthé. Ce morceau est un délice sans doute accentué par la relative âpreté des premières pistes. La fin electro-jarrienne, inattendue, ouvre la porte vers d'autres univers qui étendent de belle manière le registre de l'album (... pour un prochain disque?).
En conclusion, si l'on aime les sons du premier apogée du prog, c'est l'essence d'Ellesmere, il est alors difficile de ne pas aimer cet album bien servi, en plus de ceux déjà cités, par les claviers de Toni Pagliuca (le Orme) et la voix de Luciano Regoli (Racommandata Ricevuta Ritorno), deux musiciens qui participèrent à ces illustres heures.
Cicéron 3.14
https://ellesmere-ams.bandcamp.com/album/wyrd
20/01/2021
KING GORM
King Gorm
hard-rock progressif – 38’37 – USA ‘20
La Californie tient son groupe de heavy metal progressif vintage du moment. King Gorm, du nom d’un personnage de Robert E. Howard (l’écrivain) et non de «Gorm le Vieux» (ancien roi du Danemark), est un quatuor composé d’Erich Beckmann (basse), de Dylan Marks (batterie), de Saki Chan (claviers) et de Francis Roberts (guitare, chant). Ce dernier, fondateur du groupe, après avoir entendu Hammers of Misfortune (excellent groupe de heavy metal avec orgue Hammond), a vu son univers musical chamboulé au point d’écrire en lettres de feu: «Je vais créer un groupe de hard rock avec de l’orgue!». C’est aujourd’hui chose faite avec King Gorm. Couplée à des influences ancestrales (Rainbow, Deep Purple, King Diamond, Opeth, Iron Maiden…), la détermination du guitariste donne un premier album complètement suranné et totalement jouissif, à l’image du titre «Song From Brighter Days» que le compositeur a voulu l’incarnation de ce qu’il considère être la ballade rock d’avant les années 80 par excellence .
Outre cette ballade un peu pompeuse, l’album est constitué de titres heavy metal à l’ancienne qui amalgament le meilleur du hard des années 70 avec un traitement limpide et souvent progressif (les claviers de «Beyond Black Rainbow»). Un peu comme sur un bon bourbon, les parfums apparaissent en filigrane sur le gras du breuvage. Il y a là-dedans du hard rock vintage prog à la Opeth, «Freedom Call», «Four Heroes», du Ghost sans mitre ni paillette, «Beyond Black Rainbow», et des moments magiques comme sur «The Witch of Irondale » qui du long de ses 7 minutes nous plonge dans une ambiance mystique et progressive extraordinaire, bourrée d’ambiances rehaussées de claviers d’un autre âge.
Un très bon album qui, s’il fallait encore en rajouter, nous plonge aussi avec «Slaughter the King» dans une marmite aux arômes de Black Sabbath et de King Crimson. Impossible de résister à ce parfum diabolique.
Un album parfaitement calibré avec des influences affirmées vers le rock progressif et habité de l’aura d’albums comme «The Locust Years» et «Fields/Church of Broken Glass» de Hammers of Misfortune.
Un des opus de 2020!
Centurion
https://kinggorm.bandcamp.com/album/king-gorm
21/01/2021
Rain
Singularity
rock progressif/rock avant-gardiste/pop – 47’33 – UK ‘20
Rain (RAIN -band-) est un groupe anglais jouant auparavant dans IQ et Frost* d’une part et Arena et Jadis d’autre part, bassiste et batteur reconnus formant une synthèse progressiste du rock art-musical avec des tiroirs frais, endiablés, alambiqués et énergiques. Rain s’est servi de la pandémie mondiale qui affecte le secteur musical pour nous envoyer quelques instants hors de ce monde schizoïde, une singularité en quelque sorte, accrochez-vous car c’est juste excellent.
«Devis Will Reign» sur un air pop Earth,Wind & Fire ou Electric Light Orchestra, mise en valeur de la basse de John donnant un rythme dynamique puis un riff et un solo andalou hispanisant de toute première, mettant de la gaîté; un peu de Yes en fond. «Dandelion» pour une intro synthé-pop énergique, on part sur une version wilsonienne moderne rythmée, dansante, un peu sur Talk Talk, syncopée par la basse efficace, oui on voit que c’est un peu son groupe là; solo endiablé sans break comme sur une prise de 380 degrés avec des réminiscences floydiennes psychédéliques.
«Walk Away» sur un air Tears for Fears pop rock, déclinaison de 6 mini-tiroirs mélodiques avec break canterburien puis avec la guitare acoustique de Hackett, un autre planant au piano psyché, porte ouverte dans le prog; moment où le titre donne sa substantifique moelle; des voix qui me rappellent de loin les chœurs harmoniques de «the dark side of the moon»; ça repart rythme percussion-basse synthétique haché 70’s et le solo percutant de Mirron avec des notes me rappelant un des solos de Ange sur «Cap’taine cœur de miel» éblouissant, voix en dégradé pour la fin!
«The Magician» prolonge avec une dérive progressiste, un arpège de guitare acoustique, un refrain tueur, entêtant et une montée crescendique; après un break semblant improvisé sur un fond de jam le solo guitare arrive nerveux; le synthé groove, murmure en chœur pour terminer... et continuer sans fin, le titre qui te fait oublier le temps. «Singularity» avec les chœurs qui continuent sur une progression musicale psyché, étrange, digne d’une improvisation indescriptible; l’atmosphère est sombre comme sur «Red», un peu planante, jazzy, aux antipodes des premiers titres, progressif oui; à noter la voix féminine de l’un des membres appelant son chat dans un espace vide dénaturé, pied de nez au confinement initial qui aura meurtri nombre de fans de musique. Morceau immense.
Rain a sorti un album intrigant car non conventionnel, amenant à un autre niveau du son prog. Ces quatre compères bouleversent le socle prog avec un groove, une technicité et des airs accrocheurs. Rob Groucutt (chants, claviers, guitare), Andy Edwards (batterie), John Jowitt (chants, basse) et Mirron (chants, guitare) déposent en cette fin d’année un must au niveau musicalité subtile, un caviar musical de haute volée, un album que l’on se doit de posséder si l’on se revendique fan de prog, tout simplement.
Brutus
https://rainprogband.bandcamp.com/album/singularity
22/01/2021
The Flower Kings
Islands
rock progressif – 88’41 (2 CD) – Suède ‘20
Je me souviens avoir tenté d’organiser un concert à Bruxelles à la demande de mon ami Roine Stolt dans les années 90. Le difficile exercice échoua faute de moyens suffisants mais fut finalement concrétisé par Francis Géron au «Spirit of 66» à Verviers. Le groupe commettait alors ses premières œuvres. La comparaison avec Yes (surtout) était déjà évidente mais on sentait poindre une «patte» personnelle qui n’allait cesser de se développer au fil des années malgré d’inévitables changements de line up. Jonas Reingold, le talentueux bassiste aux multiples participations (notamment The Tangent, Kaipa et Steve Hackett), est toujours de la partie. C’est particulièrement le mariage techniquement époustouflant entre la six cordes et les claviers souvent déchaînés qui teinte ce double album de moments héroïques nonobstant la durée relativement courte des plages. Une seule d’entre elles, en effet, atteint les quelque neuf minutes («Solaris», sublimé par un lumineux final). Comme quoi ce n’est pas la longueur qui définit la valeur. Bien sûr les références aux pionniers du prog sont toujours présentes et plus particulièrement ici celles qui rappellent ELP. Diantre, cette virtuosité, cette rapidité d’exécution, ces échanges qui prolongent le frisson d’extase («Broken», lui, très proche de Yes et «Hidden Angles»)! On trouve par ailleurs une variété de paysages mélodiques des plus inattendus tel ce clin d’œil à Queen («Black Swan») ou cette incursion «pop» qui louche du côté Beatles, eh oui! («Between Hope & Fear»). Le Covid a ceci de bon que le confinement a poussé nombre d’artistes à se surpasser. C’est présentement le cas, même si je garde une petite préférence pour le précédent «Waiting for Miracles», question de goût personnel, non un jugement qualitatif. La pochette de Roger Dean fait déjà rêver!
Clavius Reticulus
Album non disponible sur bandcamp.
23/01/2021 : Les samedis étranges
Thierry Zaboitzeff
Professional Stranger
art rock – 41’15 – France/Autriche ’20
J’ai écrit «Art rock», parce que c’est notre usage, presque rituel, aussi restrictif, abusif, arbitraire – classifier appauvrit – qu’utilitaire, pratique, bénéfique – modéliser enrichit –, lorsqu’on rend compte d’une œuvre, de la caractériser (suivant une taxonomie lapidaire mais représentative), de la décrire (comme on peut), de la comparer (pour situer), de la contextualiser (en fonction de ce qu’on connaît), de (tenter de) la comprendre (qu’a voulu faire l’artiste, à ce moment de son parcours?) et de l’apprécier (suivant le cas), mais qualifier ce nouvel (et vingt-septième) album est justement un des défis posé par la diversité des pratiques esthétiques de Thierry Zaboitzeff, connu pour son parcours au sein d’Art Zoyd. «Professional Stranger» est l’espace sonore créé autour de «Long Life», chorégraphie intimiste à deux danseuses (34 et 74 ans) d’Editta Braun, qui parle de l’expérience de la vie, ses désillusions et son désir tenace d'un monde meilleur. Zaboitzeff y déroule un souffle qui fait parfois penser à celui – pop comme l’est sa réinterprétation de «Venus» des Hollandais de Shocking Blue mais aussi populaire comme cette "Petite valse" («Mali valcer» en croate) – de Yann Tiersen pour «Amélie Poulain» («Дерево (Derevo)»), où l’accordéon se marie avec un enracinement rock de chambre («Overlap Processing»), jazz («So etwas wie blau»), minimaliste (la patte du Brian Eno de «Taking Tiger Mountain (By Strategy)» dans «L'insouciance de Venus») ou électro-classique dans cette gutturale version du hit de Depeche Mode («Enjoy the Silence»). «Professional Stranger»…, la définition, à prendre au sens littéral, réjouit.
Auguste
https://thierryzaboitzeff.bandcamp.com/album/professional-stranger
A Love Supreme Electric
A Love Supreme and Meditations
spiritual jazz, free jazz – 107’40 – USA ‘20
Bon, inutile de le dire… Il fallait oser! Probable que l’un ou l’autre doit être copain avec Feigelbaum pour avoir pu sortir ceci sur Cuneiform…
De quoi s’agit-il? Simplement de la reprise de deux albums phare de Coltrane, en intégrale!
Vinny Golia n’en est pas à son coup d’essai, avec une discographie de près de 67 albums! Il n’est pas manchot non plus du saxophone et plonge résolument dans la matière coltranienne pour en donner sa version.
On suit les playlists des deux albums et, naturellement, pour qui connaît les deux œuvres de Coltrane, il n’y a pas photo, impossible de ne pas comparer. On nous annonce «A Love Supreme Electric» et cet aspect électrique est surtout présent avec l’orgue de Wayne Peet (il donne des timbres intéressants à l’ensemble) et la guitare de Henry Kaiser.
Le fait marquant de cet album, au demeurant, est le travail impressionnant de Henry Kaiser! Il n’est pas non plus un débutant (sa discographie frise les 170 albums!) et traîne sa guitare dans tout ce qui se fait d’alternatif et de «différent» sur la scène jazz, depuis belle lurette. Mais ici, il explose littéralement et ce sont ses interventions qu’on se prend à attendre au fil des plages, car chacune d’elles est vraiment une recréation des morceaux de Coltrane.
En résumé, un album plutôt intrigant, avec de grands moments de guitare et de joyeux délires free jazz pour qui sent une nostalgie de cette époque des sixties. Mais vous n’y retrouverez pas le souffle mystique que seul Coltrane pouvait produire dans ses moments de vols transcendantaux...
Lucius Venturini
https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/a-love-supreme-electric-a-love-supreme-and-meditations
Skáld
Vikings Memories
néo folk – 36’20 – France ‘20
Difficile d’imaginer que Skáld (SKÁLD - Vikings) est une formation française, tant on croirait entendre un chant féminin venant des contrées nordiques.
Ce chant féminin en vieux norrois, c’est celui de Justine Galmiche. Elle est accompagnée par la voix rauque de Pierrick Valence qui est aussi, entre autres, au nyckelharpa. Par rapport au précédent album de Skáld, le line-up a beaucoup changé, il ne persiste que ces deux chanteurs, quasi tous les autres musiciens sont différents. Évidemment, le membre le plus important de Skáld est, pour moi, le producteur Christophe Voisin-Boisvinet qui écrit la musique (il joue notamment aussi les percussions, presque omniprésentes sur l’album) et surtout les paroles, pour rappel, en vieux norrois, ce qui n’est donc pas une tâche facile lorsqu’on n’est pas familier avec cette langue.
Pour ce deuxième album, nous allons voyager sur les mers ancestrales car il nous est conté le passé des Vikings, et ceci à travers l’un des quatre éléments: l’Eau.
Les récits sont donc issus de la mythologie nordique, comme «Fimbulvetr», qui signifie «grand hiver», (déjà évoqué avec Munknörr, lors de l’une de mes chroniques), ou «Grótti», l’histoire de ce moulin qui peut moudre tout ce que l’on souhaite à condition de pouvoir le faire tourner (seules les géantes Fenja et Menja y sont parvenues). «Hafgerðingar» est un récit plutôt pessimiste sur «Les Clôtures de la Mer» où retentissent des cris de guerre. Les cordes donnent un accent plus léger sur «Norðrljós», titre dédié aux aurores boréales qui nous balancent au gré des flots. Après avoir débuté par un hiver d’une durée de trois ans, nous méritons bien le retour du soleil avec le dernier titre, «Nýr», qui évoque le solstice d'été. De soleil, il en est question aussi sur «Sólarljóð» (en français, «Le Chant du Soleil»), qui me fait un peu penser à une berceuse, car il subsiste uniquement la voix de Justine et quelques cordes, apaisantes. On s’apprête ainsi à une douce nuit sur cette chanson de Noël (que l’on va pouvoir fredonner, même si ma chronique est publiée après le 25 décembre, car comme tous les événements de 2020, Noël pourrait être reporté…)
En fin de compte, ce que Skáld a voulu faire passer avec les différents sujets traités dans les titres de cet album, c’est un parallèle entre l’ère antérieure des Vikings et l’époque actuelle.
La Louve
Album non disponible sur bandcamp.
Sonar w. David Torn
Tranceportation Vol.1 & 2
rock minimaliste – 38’59/42’08 – Suisse ‘19/’20
On reconnaît le son de Sonar parmi tous les autres à ce pari minimaliste (comment faire plus avec moins) d’accorder les deux guitares (Stephan Thelen et Bernhard Wagner) et la basse (Christian Kuntner) en intervalles tritones, de les plugger sur de petits amplis, d’y adjoindre de rares effets (un peu de réverb’ et de trémolo, pas de delay ni de distorsion) et de les accompagner d’une batterie (Manuel Pasquinelli) compacte, ainsi qu’à ce jeu live (pas de clicks, de séquenceurs ni de boucles) et collectif (pas vraiment de soli). La démarche est pensée, originale et assumée, elle amalgame tempéraments pur et égal, superpose rationnel et irrationnel, produit une entité musicale insolite et singulière, dessine des paysages sonores, une architecture à géométrie variable – parfois gracile, parfois brutale, toujours groovy –, faites d’éléments chouravés aux domaines rock, jazz et minimaliste contemporain. Pour son quatrième album, «Vortex», en 2018, le groupe écarte les murs de sa formule sans compromis et fait entrer le loup David Torn (il a joué, entre autres, avec Jan Garbarek, David Bowie, Laurie Anderson, Bill Bruford, David Sylvian ou Madonna) dans la bergerie Sonar: se greffe alors au monde structuré, discipliné, de «SONic ARchitecture», une nouvelle couche, intense, puissante, expressive, au travers de la six-cordes, des boucles live et de la manipulation sonore de Torn, vite passé de producteur à cinquième membre du groupe. Les deux albums, «Tranceportation Vol.1» et «Tranceportation Vol. 2», accomplissent le pas suivant, dont les compositions ont cette fois été écrites (essentiellement par Thelen) en intégrant dès le départ la présence de David Torn, dont les improvisations fluides approfondissent encore les fabuleux clusters sonores encaissés de Sonar. Passionnant.
Auguste
https://sonar-band.bandcamp.com/album/tranceportation-vol-1
https://sonar-band.bandcamp.com/album/tranceportation-vol-2
https://www.youtube.com/watch?v=t0W1Yq9vlnw&feature=youtu.be
https://www.youtube.com/watch?v=c3uE3EfnOVo&feature=youtu.be
Sloth Metropolis
Humanise
psyché/avant prog – 37’50 – Écosse ‘20
Sloth Metropolis, formé en 2012, nous vient de Glasgow. Il est composé de Callum Calderwood (violon électrique, chant), Alastair Milton (claviers), Peter Fleming (basse) et Steve McNamara (batterie). Les influences revendiquées par le groupe vont de Van der Graaf Generator à King Crimson. Les titres présentés ici sont enregistrés dans les conditions du live avec un public présent. «Next Page» ouvre cette plaque d’inquiétante manière avec des voix vocodérisées et des bruitages divers, mais cela présente l’avantage certain d’attiser notre curiosité. C’est l’oreille aux aguets que l’on attend la musique pendant près d’une minute dix, pour que la sauce prenne dès les premières notes de l’orgue et du chant particulier de l’ami Callum. Les mélodies se montrent intemporelles et s’insinuent le plus facilement du monde dans votre cerveau. Notons toutefois la voix particulière de Callum. Toujours l’orgue et des effets psychédéliques, «Band Together» fait son apparition et nous entraîne au son du violon, pas étranger à une ambiance en même temps festive et troublante. Sont-ce les propos du public que l’on entend au début de «Human1se»? Vite le groove lancinant nous prend aux tripes, pour faire place au break, à une atmosphère médiévale, voire celtique. La guitare prend le dessus sur «Humani2e» pour débouler sur quasiment une gigue entraînante. Le break à l’orgue est de toute beauté. «Humanis3» prend, à notre plus grand étonnement, des allures de calypso ou de fanfare, malgré un rythme parfois lent et majestueux. Une mélopée, «Hum4nise», vous tend ensuite les bras. Intervention du public («one more tune» scande-t-il d’une seule voix) pour enchaîner sur le dernier morceau, «Human of the Metropolis». Vous souvenez-vous de Cockney Rebel? Eh bien! on s’y croirait. Même la voix de Callum me fait irrémédiablement penser à Steve Harley et les chœurs sont là pour renforcer cette impression. Une curiosité que j’ai découverte avec énormément de plaisir, bien que «Humanise» soit leur quatrième production. Je vous engage vivement à faire de même.
Tibère
https://slothmetropolis.bandcamp.com/
https://www.youtube.com/watch?v=_R_H9s55Yf4&list=PLI7sBROrN9NXUC6uFP3InxrxZVK7JE7y1&index=1
24/01/2021
Molitoth
The Tribunal
rock progressif atmosphérique – 53’30 – USA ‘20
Je suis un fan de la formation américaine A Light Within et lorsque j’ai appris que son chanteur, Kyle Brandt, proposait son premier album solo, ma curiosité fut grande. J’ai toujours apprécié le timbre de la voix de Brandt et son côté sombre en particulier.
Dès la première écoute de cet album de Molitoth (Molitoth-Audio), je suis entraîné par un tempo lent, atmosphérique, mélancolique et méditatif.
Difficile de ne pas penser à Airbag ou Antimatter à l’écoute des 11 titres qui composent ce «The Tribunal». Les rythmes lourds, répétitifs, élégiaques prennent toutes leurs nuances lors d’une écoute au calme, les yeux fermés et, si vous en avez la possibilité, au casque.
Ce premier essai solo est une totale réussite, un album agréable à écouter, conseillé à un public appréciant le progressif aux ambiances calmes et cools.
Un must en cette période anxiogène.
Bon j’y retourne, j’éteins la lumière, et je ferme les yeux… le pied!
Tiro
25/01/2021
Motorpsycho
The All Is One
rock psychédélique/rock progressif – 43’35/41’08 – Norvège ’20
C’est l’histoire de trois gars qui font de la musique et visionnent, à Londres fin ‘80s, la trilogie tétonne de Russ Meyer (le cinéaste des actrices-aux-ballons-ronds-d’avant-l’invention-du-silicone) sortie mi-‘60s et décident d’appeler leur groupe selon le nom d’un des films: «Faster, Pussycat! Kill! Kill!» et «Mudhoney» («Le désir dans les tripes») sont déjà pris par d’autres rockers en puissance, reste «Motorpsycho» («Les enragés de la moto»), ce qui, sémantiquement, vaut bien Aural Blow-Job, groupe où le chanteur et bassiste Bent Sæther rencontre le batteur Kjell Runar «Killerkjell» Jensen, avant de recroiser son copain de fac’, le guitariste Hans Magnus «Snah» Ryan perdu de vue à la fin des études, deux ans plus tôt. Plus de 30 ans et plus de 30 albums plus tard, le trio des neiges (Trondheim se situe à la même latitude que Reykjavik) publie un double album fait de deux sessions d’enregistrement, assez différentes (même si toutes deux réalisées en 2019, année où le groupe publie deux albums et en enregistre trois tout en tournant deux fois en Norvège et en Europe – ils devaient avoir des infos de première main sur ce qui allait venir en 2020…), puisque la première prend place au Black Box Studio en France, avec Reine Fiske (le guitariste de Dungen) et la seconde, à l’Ocean Sound Studio en Norvège avec Lars Horntveth (le saxophoniste de Jaga Jazzist) et le violoniste et multi-instrumentiste de jazz Ola Kvernberg. Curieusement (mais l’idée est finalement convaincante), la session 1, sans doute plus conforme à ce qu’on attend de Motorpsycho quand on connaît Motorpsycho («Dreams of Fancy», ces chansons aux riffs puissants comme des congères, dotées de la pesanteur angélique du gros porteur qui s’arrache à la piste), entoure littéralement la session 2, une longue suite («N.O.X.») de plus de 40 minutes en cinq mouvements, aux développements plus colorés (la présence des deux invités élargit la palette sonore), à l’inspiration plus concentrée peut-être mais aussi plus progressive – tout en conservant les contours psychédéliques – et qui se permettent des digressions montagnardes («N.O.X. III: Ascension») ou tribales («N.O.X. IV: Night of Pan»). Impressionnant.
Auguste
Album non disponible sur bandcamp
26/01/2021
Qirsh
Aspera tempora - Parte 1
rock progressif angoissant – 63’48 – Italie ‘20
Qirsh, un groupe italien de prog avec un nom compact, voilà qui est assez singulier. 18 ans d'existence, 3 albums. Je vous invite à aller lire leur bio, pleine d’humour (https://qirsh.wordpress.com/). Belle pochette pour ce concept album sur nos peurs. Ouvrons-la pour écouter la production des 7 copains de Savona:
«Rumors» (17'51). C'est donc un très long morceau qui ouvre l'album, peut-être parce que la rumeur court longtemps. Immédiatement on est pris par le tempo rapide imprimé par la batterie réduite en cette intro par caisse claire et grosse caisse, les claviers nappant le fond sonore. Une voix susurre, tandis que les synthés passent au premier plan. L'atmosphère est encore plus lourde lorsque des rires retentissent et qu'une vocalise plaintive vient en opposition, introduisant guitare saturée, rythme et chant assez cold wave. Un break, lourde basse et batterie seules reprennent, puis retour du chant plus poignant, plus incarné. S'ensuivent plusieurs digressions aux claviers qui aèrent l'atmosphère jusque-là inquiétante... et il reste 10 minutes devant nous pour profiter, malgré des transitions parfois abruptes, de cette piste multi facette angoissante et déprimante comme son titre. Réussi!
«Aer gravis» (6'42): un morceau plus court pour exprimer la peur des grands espaces. Challenge 😉. Rythmique et chant quasi grégorien pour une incantation multi voix fournissent une intro captivante, puis d'une note c'est un peu du psy Floyd qui s'invite dans la messe qui progresse tourmentée jusqu'au saut dans le vide (moins d’instruments) libérateur.
«Quel momento» (6'17): une intro classique, guitare reverb et effets, puis piano et nappes très apaisants quoique parfois dissonants, enfin une pulsation cardiaque de basse sismique. Arrive un chant, parfois doublé, et toujours cette pulsation, cette guitare qui parviennent à nous transmettre la crainte de perdre son couple. Assez psyché mais concis et expressif.
«Hurt» (2'56). Morceau très… cash 😉, mené à 100 à l'heure, qui m'a fait penser à Goblin, mais c'est peut-être qu'après 30 min dans cet album, je commence à être angoissé… Qui a dit que seuls les morceaux longs étaient prog?
«Anansi» (3'02). Représentant l'horreur lucide de notre destin mortel, cette piste mi-rock malgré les strates de violons, mi-slow est la plus classique de l'album, et pour moi, la moins Qirsh.
«Oremus» (12'21)... et plus si affinité (morceau caché...). Un orgue liturgique et des chants quasi grégoriens, un tempo lent et très marqué par la baguette tapant le cercle d'une caisse pour plonger en douceur dans la peur générée par les religions et les superstitions. Pendant 30" la messe s'accélère pour mieux s'alanguir de nouveau, la baguette revient marquer le rythme, clavecin. Puis l'orgue monte et le morceau prend son envol. Plusieurs parties se succèdent alors, confuses, lumineuses ou inquiétantes avec des cris déchirants (les âmes perdues?) avant que le thème final ne surgisse entêtant, puissant... Mais ce n'est pas fini: une reprise de 8'04 vient compléter ce final. D'abord comme un prolongement naturel instrumental, puis après un break des chœurs a capella, comme captés dans une église, chantent en hébreu d'abord, puis retour à l'italien pour un résumé apaisé du disque.
Parfois le choix d'un nom de groupe est plus recherché que sa musique (exemple: dans la musique de Queensrÿche, le plus compliqué est d'écrire son nom). Rien de cela ici, la musique de Qirsh est aussi originale que son nom (monnaie de l’Arabie Saoudite). Et puisque cet album est une première partie, attendons la seconde comme la confirmation de ce talent. J'aimerais les voir traiter le thème de la joie, cela pourrait être remboursé par la sécurité sociale!
Cicéron 3.14
Album non disponible sur bandcamp.
https://www.youtube.com/watch?v=WKhd3l0ozpY&list=PLFgwGMYpoLT9NXXBRKsm0Pz13Vd1ed95R
27/01/2021
Gramsci
Inheritance
crossover-prog/prog-artistique – 48’57 – Nouvelle-Zélande ‘20
Gramsci est un groupe venant des antipodes nous balancer un son d’ailleurs. Après quelques albums électroniques dans les années 2000, Paul McLaney remet en route son groupe tiré du nom d’un philosophe italien, avec Jol Mulholland à la guitare et Greg Haver à la batterie. Un tableau, «The Lament of Icarus», d’Herbert James pris comme pochette et dix titres qui en découlent sur une thématique mythologique. Gramsci ou comment s’évader du monde dans lequel nous sommes sclérosés et conditionnés.
«Inheritance» ou l’intro floydienne qui tue, le bruissement des rames sur l’eau, le son éthéré évanescent venant de là-haut, titre qui met en haleine; «Achilles' Heel» et la baffe musicale qui suit, un titre pop-prog-rock avec la voix réincarnée de David Bowie, oui vous m’avez bien lu; un son simple, efficace, mélodique mais de toute beauté. «Tantalus» continue avec une déclinaison plus sensitive, émouvante, plus d’élaboration, d’ambiance mystérieuse par l’apport du sax solo, spleen et souvenir, le temps qui s’arrête à l’écoute. «Like a Scar» dans une version dark-wave, un peu des Cure ou Joy Division pour un son pop-rock entraînant, limite à passer en radio si l’on pouvait encore entendre de bonnes choses sur celle-ci; titre mélodique, sombre, métronomique, rempli de mélancolie créative avec son petit solo guitare comme une petite viennoiserie sortant du four. «Pride & Joy» sur une sonorité plus rythmée, la batterie en avant initiant un air martial et toujours cette voix qui fait chavirer, final qui monte et ramène encore à la dark-wave.
«Icarus» pour l’entame de la deuxième face et un solo camélien ou de Chris Rea pour une virée dans les étoiles, ces notes qui s’incrustent directement dans votre cerveau pour ne plus en sortir; une ballade instrumentale taillée pour les longues routes US. «Hitting My Stride»: intro mélodique amenant la voix de Paul pour un titre mélodique simple et envoûtant comme ce qu’on pouvait trouver avec Bryan Ferry; on se laisse bercer, on est aux anges. «The Golden Bough»: interlude électro acoustique, ce n’est pas «Jeux Interdits» mais c’est pur. «Ancient History»: sur une déclinaison un peu redondante, air de déjà… entendu qui continue cependant d’envoûter. «Atlas» vient terminer l’album sur un air facilement reconnaissable au synthé de documentaire télé, du prog rock avec une montée crescendo forte qui n’en finit pas, peu d’improvisation dessus puis finale aux deux tiers ambiance nature glaciale prédestinée en cette période hivernale.
Gramsci distille du rock prog par ambiances avec des refrains puissants, vite intégrables et des harmonies musicales souvent instrumentales avec boucles; un bijou intemporel, creuset de genres différents orientés rock folk prog rappelant Nick drake, Roxy Music et David Bowie pour cette voix typée. Des chansons simples bourrées d’airs pour vous changer les idées, tel est le but de cet album qui a failli passer à travers les mailles du filet 2020 mais que je vous aide à raccrocher en ce début d’année.
Brutus
https://gramsci.bandcamp.com/album/inheritance
28/01/2021
John Petrucci
Terminal Velocity
métal progressif – 55'23 – USA ‘20
Brève présentation de John Petrucci car vous le connaissez certainement déjà. Il est le guitariste de l'immense Dream Theater, qui, depuis 1988 avec plus d'une quinzaine d'albums à son actif, est la base de tous les groupes de métal prog. À côté de cela, Petrucci participe aussi à Liquid Tension Experiment avec d'autres membres de Dream Theater et Tony Levin à la basse; un album est actuellement en préparation. John participe également à plusieurs albums avec d'autres amis musiciens et a une carrière solo avec ce deuxième album «Terminal Velocity». John Petrucci est bien sur le compositeur et guitariste de l'album, line up complété par ses amis de jeu: Dave LaRue bassiste de Flying colors, Vinnie Moore, Satriani, ainsi que l’inévitable Mike Portnoy (ex-Dream Theater) à la batterie. C’est un véritable plaisir, des années après, de retrouver la complicité Petrucci et Portnoy; qu’est-ce que cela sonne bien! Le Dream Theater de la grande époque. Mais, grâce à cet album solo, John peut creuser un peu plus dans des zones moins propices à Dream Theater déjà bien riche. Je pense notamment à «Out of the Blue» et son côté blues comme pourrait le faire Blues Pills, ainsi qu'à la guitare classique dans «Temple of Circadia» ou encore à l’intro de «The Oddfather» à la mandoline. Il se fait plaisir, simplement. «Terminal Velocity» est un album rempli de joie qui sent la positive attitude et le bonheur des retrouvailles d’amis musiciens, notamment sur le titre «Happy Song». Et s’il y a bien un titre à écouter sur cet album c’est «Gemini»; les guitares y sont magiques de simplicité, de résonance et de créativité. Les autres instruments, notamment le son de basse, terminent de créer un titre progressif frôlant la perfection. Tous les amateurs de Dream Theater et de Liquid Tension Experiment, ainsi que les amoureux de guitares et de bon métal prog, vont être aux anges avec «Terminal Velocity». Ne passez pas à côté. Très bonne écoute à vous…
Vespasien
Album non disponible sur bandcamp.
https://www.youtube.com/watch?v=sdV9s5-9V40&list=PLBzBwYhHpqLKLcdccprb7Cb7ZgHb7TsXg&index=4
29/01/2021
Lee Abraham
Harmony/Synchronicity
rock progressif/AOR – 48’05 – UK ‘20
Dès 2004, Lee impressionne Martin Orford (IQ, Jadis) et Karl Groom (Threshold) avec son premier bébé, «View from the Bridge». L’année suivante il auditionne comme bassiste chez Galahad et se trouve engagé pour l’album «Empire never Last» en 2006. Mais c’est surtout en tant que lead guitar qu’il excelle et après quatre nouveaux albums en solo, il retrouve Galahad en cette qualité. On trouve pas mal de références à l’écoute du présent huitième album dont le jeu de guitare n’est pas sans rappeler celui de John Mitchell (Arena) ou de Nick Barrett (Pendragon). Après une première plage vitaminée («The World is falling down»), «Stay» plonge dans une lumière de pure émotion (comment ne pas penser à Mike and the Mechanics?). «Hearing the Call» repart alors de plus belle dans le mood Arena où Lee nous sert une envolée de guitare qui nous scotche au plafond et, pour nous donner le coup de grâce, il complète le trip par «Misguided Pt 2 - instrumental» d’une beauté à couper le souffle (mais où est donc passée la «Pt 1»?). Si vous êtes encore en mal de comparaisons progressives, humez ces parfums Marillion époque Hogarth («Never say Never») et même cette douce fragrance Moody Blues («Rise Again»). Le morceau éponyme assied définitivement l’incroyable maestria de notre guitariste par ses montées en puissance qui semblent ne pas vouloir s’arrêter. Un bijou de plus à mettre dans votre collection de progster incontinent aux côtés de ses précédents «Comatose» (2019) et «The Seasons Turn» (2016), diamants de la même eau!
Clavius Reticulus
https://leeabrahammusic.bandcamp.com/album/harmony-synchronicity
29/01/2021 - ep
Hats Off Gentlemen It's Adequate
Feeling Great
musique progressive – 18’37 – UK ’20
Le duo Malcolm Galloway et Mark Gatland est coutumier des parutions de petits EP pour, de temps en temps, parsemer sa discographie forte de 5 albums.
Nous vous avions parlé d’«Ark», leur précédent EP, l’année dernière. Aujourd’hui Hats off Gentlemen it's Adequate nous revient avec un nouvel entremets concocté durant le confinement de l’année dernière. Quatre titres dont les trois premiers sont inédits.
«Feeling Great», sur un mode mélancolique, nous replonge dans cette drôle de période Covid grâce à une voix douce posée sur un piano triste. Ensuite «Struggling» où la Stratocaster de Malcolm nous envoie au firmament des sonorités de David Gilmour. Un blues progressif suave de tendresse, arrachant nos dernières résistances, c’est simple et beau, une réussite. La suite avec une sorte d’hommage au talentueux écrivain américain Philip K. Dick. «Callisto Cuddle Sponge», le titre du morceau est le nom de la créature extra-terrestre qui, si mes souvenirs sont bons, apparaît sommairement dans le roman «Coulez mes Larmes, dit le Policier». Ce titre toujours instrumental, plus rythmique, plus prog, plus électronique aussi, nous illustre le riche panel de la formation. «Skyline», enfin, ancien titre de 2011 remis à jour, nous plonge dans l’obédience planante et électronique du duo. Titre plaisant qui, lui aussi, démontre l’étendue stylistique de la formation.
Un p’tit EP, certes à réserver aux fans, mais qui vous donnera peut-être l’envie de parcourir plus profondément les méandres du groupe. Penchez-vous, par exemple, sur leur dernier album «Nostalgia for Infinity» paru l’année dernière.
Centurion
https://hatsoffgentlemen.bandcamp.com/album/feeling-great
30/01/2021
flyingdeadman
The Night
post rock terminal – 36’32 – France ‘20
Qualifiant eux-mêmes leur musique de ‘cinematic post rock’, les membres de Flyingdeadman ne se moquent pas de leurs auditeurs car tout est résumé en ces trois mots pour définir l’atmosphère générale qui englobe leur quatrième effort. Bande-son d’un univers spleenétique qui m’évoque les plages perdues de la mer du Nord en hiver, sous un ciel si gris que l’eau s’y confond avec l’horizon. Le décor est planté, dépressifs s’abstenir. Le post rock véhicule, à juste titre, ce cliché (qui n’en est pas un) de musique à ne pas écouter quand votre petite amie vient de vous quitter ou que vous avez été viré de votre taf! Pourtant, «The Night» s’inspire du fameux «The Night of the Living Dead» de George Romero, pellicule culte de l’horreur cinématographique. On est loin des soucis et problèmes quotidiens évoqués plus haut. Des extraits parlés du film sont d’ailleurs injectés au fil de l’écoute, ce qui rajoute un charme fou à cette détresse palpable. Pourtant, ce n’est pas la terreur qui règne mais une atmosphère de résilience face à une fin inéluctable, quelle qu’elle soit. En somme, FDM retranscrit un désespoir bien dans l’air du temps qui m’évoque une autre fin de monde, ou plutôt de civilisation, annoncée par tous les faux prophètes du covid et les vrais climatologues du réchauffement. On n’y va pas, on y court! Sur un roulement de guitares frottées sur des parpaings et parfois aériennes comme des bulles de savon, les quatre compères (Fabien/guitare, Aurélien/guitare et programmation, Damien/batterie et Christophe/basse) propulsent un post rock aussi réjouissant que son thème est morbide. Plus de batterie électronique et une basse colossale, autant dire que ça pulse sévère. Humainement parlant, l’heure n’est plus à la rigolade et les fanfreluches sonores, claires comme une eau de roche sur un lit de galets, viennent, à propos, égrener les aiguilles de l’horloge. Ce qui est fort avec un disque comme «The Night», c’est que chacun peut y mettre ses propres visions, jamais très gaies. C’est le genre qui veut ça mais Flyingdeadman tire à tout point de vue son épingle du jeu, ce qui n’est pas si facile quand on œuvre dans le style. La beauté dramatique gît derrière chacun des cinq morceaux de l’album, une gravité bouleversante assomme l’auditeur avant qu’une rédemption partielle ne le tire d’une torpeur voilée de mélancolie aux portes de l’aube («Dawn at the gates»). Tout ne serait-il pas déjà fini? Garder espoir avec le cœur ouvert («Hopes and an open heart») pour clore ce disque d’une insolente et traumatisante beauté sombre. Le post rock de Flyingdeadman est certainement le plus poignant et le plus déchirant concocté en France et ce disque brûle d’une déprime jouissive. De là à dire que FDM est au post rock ce que fut Joy Division à la cold wave ou Tangerine Dream à la Berlin school (deux autres familles musicales pas très gaies), il n’y a qu’un pas que je franchis avec une allègre neurasthénie contemplative et jubilatoire. À écouter en plein hiver est un plus!
Commode
https://flyingdeadman.bandcamp.com/
31/01/2021
Sanguine Hum
A Trace Of Memory
crossover prog/rock progressif – 42’06 – UK ‘20
À propos d’astres et de désastres, causions-nous l’année dernière lors d’un spaghetti Gluten-Free organisé dans les fastes du Dux Bellorum. Je le cite: «Voyez-vous, si j’accroche 5 étoiles à la toge de cet excellent album, quel nombre en octroyer aux canoniques Genesis, Yes...?». Cette perspective me mit le cerveau puis l’estomac dans «l’étalon». Petit nez-rond inexpérimenté, voire alors illégitime recrue jetée aux lions grisonnants des arènes progressives, j’avais là matière à réfléchir. Cette chronique sera donc l’occasion de rappeler toutes les minuscules frustrations accumulées à l’écoute d’un travail de haute qualité, tout ces hics subjectifs, tout ces couacs discutables, qui empêchent au sésame, font tomber les soleils.
Ainsi, fallut-il que le myope s’approche de la pochette du dernier Sanguine Hum, pour constater à regret que la sublime créature qui l'habitait n’était qu’une déesse plastique éclaboussée de cire. Pincement au cœur. Mais ce sourire synthétique fut compensé bien vite par les premières notes d’une «nouvelle lumière» où Farfisa tarabiscoté et guitare se firent l’écho de la veille horloge ornant, majestueuse et bruyante, la cheminée de ma grand-mère. Le sublime «The Yellow Ship» qui s’ensuivit ne me déçut guère avec ses synthés lead Eurock ainsi que son doux pelage néo se disloquant en motifs parfois crimsonniens, parfois teintés d’un Canterbury bâtard... presque murmuré. Néanmoins, des longueurs injustifiées, tergiversantes interférences à mon enthousiasme, me firent décrocher plusieurs fois.
Quant aux pyramides, assises solidement sur la piste suivante, elles eurent pu sans fautes marquer quelques points. Yes! No, patatras, un peu court... je restai sur ma faim: un fade out!? (Je déteste les fade out!)
«Thin Air» me tapissa tranquillou le canal auditif, atmosphères acides, syncopées, dissonantes, malgré tout où allait-on? D’après Victor Hugo... nulle part.
Bien qu’instable sur le lot d’arpèges ascendants qui pavaient le sol du morceau d’après, je ne trouvai rien à dire à ce déséquilibre ambiant. Exécution parfaite, émotions justes, final à l’avenant. Peut-être est-ce dans l’absence de faille que fut ma frustration.
Quant à l’avant-dernier, merveilleux, «Still as The Sea», sans doute souffrait-il de ce dont cet album dans sa totalité souffrait: de très bonnes idées méritant un plus large développement!
Comme un grand vin dont on ne m’aurait servi que quelques centilitres pour en apprécier, pour en comprendre toutes les splendeurs. La prochaine fois les gars, laissez-moi la bouteille!
Néron
https://sanguinehum.bandcamp.com/album/a-trace-of-memory