La journée Birdeatsbaby (8 décembre 2019)

L'interview en vidéo

Retranscription de l'interview

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur de m’entretenir longuement avec les membres du groupe Birdeatsbaby, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album «The World Conspires». Partis «just on time» de Brighton UK, c’est après une crevaison et un problème de moteur qu’ils arrivèrent fatigués vers minuit sur leur belge lieu de villégiature. Étape rurale, courte parenthèse avant d’entamer leur tournée germanique. C’est donc très chaleureusement que je tiens à remercier cette joyeuse équipe qui m’a consacré deux heures de son temps malgré tout.
Birdeatsbaby est un projet bien singulier, construit il y a un dizaine d’années sur une formule pop-cabaret revisitée; le band n’a cessé d’étoffer sa musique au fil des rencontres et de l’air du temps. Le son s’est durci comme la colère d’une jeune génération pour qui l’avenir n’est plus qu’un mot sans consistance, mais les effluves métalliques de leurs compositions n’ont pas entamé un sens naturel de la mélodie présent depuis le début de l’aventure. Bien au contraire, cette «haine» davantage exprimée rend leurs créations grandioses! Boulimique par nature, la bête ailée a digéré ses influences et donné vie à un monstre cousu de cordes, de distorsions, de rythmiques élaborées et de chœurs presque liturgiques. Un mélange inquiétant, une voix qui murmure ou puissamment dénonce ce monde qui conspire...
Néron

Membres du groupe :
Mishkin Fitzgerald - Piano, Vocals
Hana Maria - Violin, Cello, Vocals
Garry Mitchell - Bass, Guitar
Anna Mylee - Drums, Percussion

Prog censor : Mais pourquoi donc des oiseaux qui mangent des bébés et pas l’inverse?
Mishkin Fitzgerald: Déjà, je pense que les animaux sont plus cool que les humains. (Rires.) Mais, plus sérieusement, la véritable histoire derrière ce nom est que, adolescente, j’étais sujette à de longues insomnies. Pour pouvoir dormir un peu, je prenais bon nombre de médicaments. Le revers étant que ceux-ci me faisaient régulièrement faire des cauchemars. C’est lors d’une de ces terreurs nocturnes que l’image qui allait devenir le nom du groupe m’est apparue. Étant donné que notre premier album était basé sur ces songes noirs, cela convenait parfaitement...

Pc : Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, d’où venez-vous, les oiseaux? Comment évoluez-vous dans votre milieu naturel?
MF : Nous avons commencé le groupe il y a 10 ans avec Garry. C’était alors une formule minimaliste avec quelques instruments seulement et notamment un accordéon, ce qui donnait au projet un côté pop-cabaret revisité. Plus tard, Hana Maria a rejoint le projet avec des références davantage rock, ce qui a entraîné un durcissement de notre musique. Mais l’objectif était également de donner à notre son une plus grande dimension.
Petit à petit, chacun de nous a également appris à jouer d’autres instruments, ce qui a continué à étoffer nos compositions. Hana joue du violon, violoncelle et même de la vielle à roue, moi je chante et assure le piano, même parfois l’accordéon, Garry s’occupe de la basse et des guitares, quant à Anna, elle officie maintenant à la batterie. En ce qui concerne les chœurs, tout le monde met la main à la pâte.

Pc : J’ai découvert votre formation avec l’album «Tanta Furia» qui m’a tout de suite interpellé par la douce folie de ses arrangements. Malgré tout, quand on s’attarde un peu sur votre discographie (6 albums en 10 ans), on remarque que chaque opus a une personnalité propre. Ce projet n’est certes pas figé dans le marbre, on a l’impression d’un grand cheminement, d’un matériau évolutif au gré des envies et au fil de l’expérience…
MF : C’est clairement évolutif. Il est maintenant difficile de décrire précisément pourquoi chaque album est différent. Cela dépend de tellement de choses... la musique que l’on écoute à un moment donné, notre état d’esprit lors de l’écriture, mais aussi les nouveaux instruments que l’on découvre et que l’on veut intégrer dans le processus créatif. Cependant, il y a une véritable volonté de surprendre notre public à chaque nouveau disque et pas nécessairement de proposer quelque chose de confortable pour les fans. On ne veut pas se répéter non plus, c’est l’une de nos priorités.

Pc : Dans votre dernier album «The World Conspires» qui nous occupe aujourd’hui, on retrouve le meilleur de votre savoir-faire. Il y aussi une grande maturité dans la manière de construire celui-ci, d’agencer les titres. L’intelligence de rester efficaces et d’aller à l’essentiel car il y avait finalement de la matière à réaliser un double album?
MF : Dès le début, il nous a semblé que ces titres formaient un tout. Peu importe que l’album soit long, il nous semblait homogène. Il était donc hors de question de faire un double.
Cela nous pris trois ans pour réaliser ce disque et on voulait que toutes les expériences vécues durant sa réalisation soient présentées de la sorte. Pour que cette aventure garde un sens, d’une certaine manière.

Pc : Cet album, c’est plutôt un aboutissement ou une nouvelle aventure?
MF : Un peu les deux. C’est toujours excessivement difficile de mener un projet artistique à son terme. Celui-ci le fut. Nous avons eu pas mal de galères personnelles, notre batteur nous a également quittés durant le parcours; ce n’était pas facile… mais nous sommes très fiers d’y être arrivés. Sous cet angle, c’est un aboutissement. Mais c’est également une nouvelle aventure, car, comme nous en avons parlé tout à l’heure, nous avons voulu à nouveau sortir de notre zone de confort et également aborder un nouveau style... Nous baignons maintenant un peu dans le métal, ce qui donne un envol unique aux ambiances de cet ouvrage.

Pc : Birdeatsbaby, on le voit à travers vos pochettes et vos réalisations vidéos, porte beaucoup d’intérêt à l’image. En ça, c’est un projet complet. Cependant, bien plus que le côté visuel, il me semble que chaque élément artistique produit doit porter du sens. C’est un enjeu capital pour vous?
MF : En grand partie, oui c’est vrai. Nous avons une idée très précise de ce que nous voulons faire dès le début; même le nom de l’album était connu avant de composer les premiers titres. Il y a un véritable concept de base, puis nous travaillons dans ce sens. Il reste cependant, et heureusement, un petit pourcentage de surprises qui s’invitent en cours de route.

Pc : Tant que nous parlons de sens et d’image, un mot à propos de la pochette du dernier album... teintée d’ésotérisme... Qui l’a réalisée?
MF : Un fan argentin nous a proposé, il y a quelques années, de réaliser le Artwork de notre pochette. Depuis, c’est toujours lui qui s’y colle. Il a donc réalisé la couverture des trois derniers disques. En ce qui concerne le carnet de «The World Conspires», il voulait y présenter un couple continuant à s’aimer alors que le monde autour d’eux s'effondre. On y voit les quatre Cavaliers de l’Apocalypse narguant presque ces amoureux qui persistent à vivre unis malgré l’imminence de la fin. Il y a effectivement beaucoup d’autres symboles présents sur cette image. Des symboles bibliques, des références poétiques...

Pc : Vous parlez de symboles, de poésie... Vos textes sont souvent obscurs et on n'a pas nécessairement en main toutes les clefs pour en saisir l’essence. Cependant, entre les lignes, j’ai parfois eu l’impression d’une écriture «thérapie». Est-ce que l'écriture est un exutoire pour vous?
MF : Oui, d’une manière générale ça l’est. Je ne réfléchis cependant pas nécessairement à ce dont je veux me libérer... J’écris, me laisse aller, et vois ce qu’il se passe sur papier. C’est sans doute ce lâcher-prise face à la page blanche qui est thérapeutique. Mais je ne commence pas, crayon en main, en me disant «Voilà le sujet qui fâche»... cela doit absolument sortir! C’est en somme davantage de l’ordre de l’inconscient.

Pc : Pour changer de sujet, mais peut-être pas tout à fait, j’ai remarqué quelques récurrences stylistiques sillonnant votre travail… des chœurs épais, des ambiances presque liturgiques, du lyrisme... D’où viennent ces influences?
MF : On aime ça... c’est vrai. Hana Maria est spécialisée dans la quarte! (Rires.) Mais on aime aussi la douceur de la tierce et l’efficacité de la quinte. (Rires.) Chacun d’entre nous chante et on compte sur l’arrivée de notre nouvelle batteuse Anna pour venir enrichir le tout et pallier nos faiblesses (Rires.)

Pc : Mmm, tout cela est un peu technique... mais concrètement, quelqu’un d’entre vous a-t-il été enfant de chœur? (Rire.)
MF : (Mishkin lève la main et entame un air religieux.) Yes! Je viens effectivement d’une famille assez religieuse. Cela a peut-être été une influence…

Pc : Une autre marque de fabrique - me trompé-je? - c’est la valse... l’emploi des rythmes ternaires?
MF : Cela vient des racines du groupe et notre fameuse formule «cabaret» du début. L’utilisation de l’accordéon engendrait pas mal de compositions du genre. Cette rythmique est restée dans nos gênes malgré l’évolution sonore du groupe. C’est une signature BEB, même si ça devient un peu du «Waltzcore»... (Rires.) On a certainement des facilités à s’exprimer en 3/4 et en 6/8.

Pc : Il est déjà minuit et demi, je vais un peu écourter… (rire), mais j’ai encore une ou deux questions. Avec nos voisins britanniques, nous, Belges, partageons un certain goût pour l’absurde, le second degré ou même l’humour noir… Aujourd'hui vous avez dans vos rangs une part de Belgique en la personne d'Anna, votre nouvelle batteuse. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre rencontre?
Hana Maria : Avec Anna, via notre agence, nous avons réalisé ensemble des sessions de musique irlandaise. C’est dans ce cadre que nous nous sommes rencontrées. J’avais déjà trouvé son style intéressant… Ensuite, lors de la réalisation de «The World Conspires», nous avons malheureusement perdu notre batteur. Dès lors, j’ai tout de suite pensé à elle, mais je savais qu’elle était fort occupée et je craignais qu’elle n’accepte jamais un projet de plus. Qu’à cela ne tienne, nous lui avons quand même proposé le poste.
À notre grande surprise, elle a accepté assez rapidement la mission! Ce qui est exceptionnel c’est que dès la première répétition, Anna connaissait déjà tous les morceaux par cœur... malgré la complexité de certaines pièces.
Anna Mylee : C’est bon les gars! Merci! (Rires.)
Blague à part, après avoir écouté l’album, j’étais vraiment enthousiaste et séduite. Je me suis dit «Wouah, quelle qualité»... C’est un vrai challenge pour moi car je ne viens pas vraiment du monde progressif et il m’est donc nécessaire de travailler énormément pour appréhender certains morceaux. Mais il y a tellement de choses intéressantes à jouer pour un batteur dans cette musique que c’en est un vrai plaisir. J’ai jusqu’à présent assuré quelques concerts avec eux et me sens de plus en plus à l’aise dans mon jeu. Ici, nous entamerons demain notre première tournée ensemble en Allemagne et il me tarde d’y être!

Pc : Comme nous parlons de percussions, pensez-vous que votre musique s’est étoffée ou durcie avec le temps?
Garry Mitchell : Un peu les deux!
MF : Le tout est devenu plus sombre, plus dense, plus heavy... Le temps passe et peut-être avons-nous plus de haine en nous... (Rires.)
HM : Elle parle sans doute pour nous tous. (Rires.)
MF : Nous faisons nôtre cette haine, ces ténèbres, à chaque fois que nous créons. (Rires.)
Plus sérieusement, je pense que notre musique, avec l’expérience de ces 10 dernières années, est devenue plus complète, plus aboutie, plus énergique… Nous bâtissons finalement sur ce que nous maîtrisons déjà, sans essayer d’ajouter de la fantaisie à tout prix. Nous essayons constamment de trouver de nouvelles textures, un nouvel équilibre... C’est amusant.
HM : Et donc, nous devons faire plus de place pour contenir cette haine (re-rires)...?!
AM : Je pense qu’il est important d’insister sur ce point! (Rires.)
MF : Hate!

Pc : La pochette est apocalyptique, et nous vivons sans doute dans un monde propice à la naissance de haines diverses et variées… je comprends votre sentiment. Pensez-vous donc qu’aujourd'hui un artiste doit «s’engager»?
MF : Tout ce qui tourne mal en se moment nous affecte forcément, a un effet plus ou moins fort sur nous. Il est donc normal que notre musique, nos paroles s’en trouvent affectées. Ce n’est pas nécessairement de l’engagement, ni quelque chose de réactionnaire…
GM : Nous ne sentons pas un devoir d’engagement, mais effectivement il y a des conséquences artistiques à ces maux qui nous concernent tous personnellement...

Pc : Vous êtes une formation très productive. 10 ans, six album... Quoi pour la suite?
MF : La première étape sera pour Anna d’aller en studio pour composer des rythmes encore plus sombres et plus complexes qui nous serviront de base à la création du prochain album.
HM : Avec un maximum de modulation métrique. (Rire.)
AM : C’est le Graal du batteur. (Rire.)
MF : Cela sera sans doute plus hard et plus progressif qu’auparavant.

Bientôt 1:30 du matin. Le stock de bières brassées maison de notre hôte est réduit à néant et le visage tiré de mes courageux interlocuteurs m’oblige à écourter respectueusement.
Force est de constater que, moi aussi, je succombe à la fatigue et n’ai plus les idées très claires. Il y a pourtant tellement de questions restées en suspens… notamment à propos de ce merveilleux album de reprises, avant-dernier sorti des tiroirs du piaf anthropophage.
Bah, on se dit au revoir, et à la prochaine! Si possible sans les affres de la route

Birdeatsbaby: 10 ans d’histoire!

Voici 10 ans, en 2009, débute l’histoire de ce projet atypique dû à certains problèmes de santé de Mishkin Fitzgerald (voir à ce propos l’interview ailleurs sur cette page!). Très vite, elle est rejointe par Garry Mitchell dont elle a fait la connaissance sur les bancs de l’université de Brighton. Les deux compères qualifient la musique qu’ils pratiquent de «punk-cabaret». Mishkin ayant suivi l’essentiel de sa formation musicale à l’église (avant l’université!) est fortement influencée par les cantiques, la musique classique et ensuite par le rock. Néanmoins, ils sont tous deux amoureux de musiques sombres et progressives. C’est ainsi que 2009 voit la sortie de leur première production, «Here She Comes-a-Tumblin’», parsemée de passages presque burlesques. L’arrivée d’Hana Maria au violon, violoncelle et harpe, permet d’étoffer encore leur son. L’album «Feast of Hammers», en 2012, donne à entendre un résultat étrange, dépouillé piano-voix entre Marlène Dietrich et Liza Minelli…
Le ton se durcit avec, en 2014, «The Bullet Within», et change quelque peu la donne: l’évolution suivra pour nous aboutir, en 2016 à «Tanta Furia», bien plus densifié encore. En 2018, un album de reprises - «Claws (Covers 2015-2018)» - voit le jour et mélange allègrement Bowie («Life on Mars»), Nancy Sinatra («Bang Bang» - non, ce n’est pas Sheila!), Korn (!!!), Kate Bush, PJ Harvey et Tool, notamment!
C’est durant le mois d’octobre de l’an de grâce (selon la formule couramment utilisée!) deux mille dix-neuf que sort leur toute dernière production, présentée par ailleurs, «The World Conspires», sur laquelle la nouvelle batteuse belge (cocorico!), Anna Mylee, n’est pas encore créditée, mais bien Pablo Paracchino.
Toute leur production est disponible, en physique et/ou en téléchargement, sur leur bandcamp (https://birdeatsbaby.bandcamp.com/). D’autres informations intéressantes peuvent être trouvées sur leur site (https://www.birdeatsbaby.co.uk/home) ou leur page facebook (https://www.facebook.com/birdeatsbaby/).
Pour terminer, toutes leurs réalisations font l’objet d’un financement participatif via Patreon (https://www.patreon.com/birdeatsbaby).
Tibère